Au Fond Des Ténèbres
ai séjourné plusieurs fois – on la voyait en train d’adorer Hitler ; elle restait là assise, dans l’adoration. Elle n’avait aucune conversation, pas une idée dans la tête, pas de tête du tout. Je pense que c’est ce qui lui plaisait et ce qu’il recherchait en elle ; quelqu’un devant qui il n’avait pas besoin de dire un mot, qui était tout simplement en adoration devant son dieu. Il a dû en avoir de plus en plus besoin au fur et à mesure que la situation empirait pour lui.
« Les Juifs ? Non, je n’ai jamais entendu Hitler prononcer le mot “juif” dans une conversation privée, ni même dans une conversation ordinaire. Il parlait des Ennemis de l’État (Staatsfeinde) et il désignait par là tous ceux qui étaient contre l’Allemagne, y compris les Alliés, les Russes, etc.
Mais, je le répète, il n’a jamais mentionné les Juifs à ma connaissance… Bien entendu, n’oubliez pas qu’en Italie il n’y avait réellement pas de question juive, et, en tant qu’interprète, ma compétence portait sur les questions italiennes. En Italie, il y avait quelques Juifs parmi les gens importants – industriels, savants, écrivains ; et naturellement il ne leur est rien arrivé. Ils sont partis en temps opportun, c’est-à-dire avant septembre 1943, quand l’Italie est passée du statut de nation alliée à celui de nation occupée. Ou bien ils ont été cachés par des Italiens, souvent dans des couvents et des monastères. Il n’y avait donc aucune raison de traiter de la question juive entre Hitler et Mussolini.
« Je n’ai jamais non plus entendu Pie XII prononcer le mot “juif”. Mais naturellement, il s’exprimait toujours en termes très généraux ; il parlait de l’“humanité souffrante en tous lieux”, des “excès commis” etc., mais il ne précisait jamais. Sauf une fois, dit-il un peu plus tard. Mais c’était à une date tardive, en 1944, à l’occasion de la dernière audience qu’il accorda au général Wolff ; il demanda à Wolff de négocier sur-le-champ la libération d’un jeune homme, fils d’un de ses amis d’enfance – des Juifs. Et ce fut fait immédiatement. Au cours de cette même rencontre, il a demandé que cessent désormais en Italie “tous les excès”, et ils cessèrent. Le général Wolff ordonna qu’il ne soit plus “touché” à personne, à partir de ce moment, et que des améliorations soient immédiatement apportées à la nourriture, etc., dans les prisons et les camps. Mais bien sûr, il aurait pu spécifier le cas des Juifs, mais même à ce moment, il ne l’a pas fait.
« Non, je n’ai certainement jamais eu l’impression que le pape était pro-nazi, mais il était certainement pro-Allemand. Du point de vue politique, il était surtout anticommuniste, on ne doit pas l’oublier. Ça n’a pu changer jusqu’à fin 43, début 44. Jusqu’à ce moment, l’Allemagne était – devait être à ses yeux – le principal rempart contre le communisme. Je suis persuadé que c’est ce qui a motivé son attitude. Oui, il existait – il a toujours existé – un antisémitisme latent au Vatican. Après tout, ça tenait à l’enseignement catholique traditionnel : ceux qui ont mis le Christ à mort, vous savez bien, etc. Aujourd’hui, c’est un peu démodé. Mais il me paraît tout à fait possible que la pensée et les actes de Pie XII en aient été influencés – fût-ce inconsciemment. Et aussi, naturellement, il y avait la peur ; le Vatican, tout puissant qu’il soit, était en plein milieu de la Rome fasciste, et ensuite, nazie… Néanmoins, jusqu’en octobre 1943, il n’aurait pas été possible de toucher au pape ; le Duce et les Italiens n’auraient jamais toléré une intervention contre le Vatican. »
Les déclarations à la presse du général Wolff sur le projet d’arrestation du pape avaient paru deux semaines avant ma rencontre avec le Dr. Dollmann, je l’ai donc interrogé à ce sujet. (J’ignorais encore que le père Grahame avait fait à la presse une déclaration analogue.) « On y pensait, mais cela n’a jamais abouti effectivement à un ordre. Rien de ce genre n’aurait pu se préparer à mon insu. Ça n’a tout simplement pas existé. »
« Jusqu’à quel point étiez-vous informé du sort des Juifs ? »
« Eh bien, il faut dire qu’il courait des bruits sur les camps, un peu partout. Mais bien entendu, encore une fois, ça concernait à peine l’Italie qui
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