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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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répondre ; il a réfléchi un long moment, pour répliquer finalement d’une voix douce et triste : « Si j’avais su – réellement su – je crois que je l’aurais renvoyé. Je crois que j’aurais dit : “Essayez auprès de quelqu’un d’autre. « Je crois que c’est là ce que j’aurais fait.” Et je l’ai cru.
    Auparavant, nous avions abordé les questions fondamentales, celles que tous les autres sans exception avaient soulevées durant ces conversations : jusqu’à quel point le pape était-il au courant de la réalité en ce qui concerne les Juifs ?
    « Pie XII ignorait à quel excès aboutissaient les mesures allemandes contre les Juifs », dit le père Weber. Il savait qu’ils étaient internés dans des camps ou autres lieux, mais il ne savait pas qu’on les tuait. Il courait toutes sortes de bruits, naturellement, mais il était impensable pour le pape de publier une encyclique sur la base de rumeurs. Tant qu’il ne pouvait pas se convaincre lui-même des faits, tant qu’il n’était pas convaincu qu’il s’agissait bien de faits, il lui était impossible de parler.
    « D’après ce que je sais de la situation, continua-t-il, il ne faut pas oublier que, quoi que puissent dire aujourd’hui les Allemands, la grande majorité d’entre eux était pour Hitler. Je pense que si le pape, avec la connaissance incomplète de la situation qui était la sienne, s’était exprimé publiquement et avait répété ces rumeurs non confirmées aux catholiques d’Allemagne, cinquante pour cent d’entre eux se seraient sentis outragés ; ils en seraient venus à reprocher au pape avec amertume et colère de s’être laissé aller à servir d’instrument à la propagande ennemie. »
    « Vous ne pensez pas que les catholiques allemands auraient cru le pape ? »
    « Non, ils ne l’auraient pas cru. »

7
    Le Dr. Eugen Dollmann est un des rares Allemands qui n’aient jamais démenti leur appartenance au Parti nazi – on a même l’impression qu’il se fait un point d’honneur de ne pas s’en excuser. Il avait soixante-douze ans quand je l’ai rencontré en 1972 dans un hôtel-résidence luxueux Das Blaue Haus [130] à Münich où habite ce célibataire courtois et mondain, avec son beau chien pour compagnon. Paraissant bien plus jeune que son âge, le port altier bien qu’il ne soit pas de grande taille, il est vêtu avec raffinement et il se passionne pour l’art et les antiquités.
    Au temps où il était l’interprète de Hitler à Rome, il a également servi d’interprète à toutes les personnalités allemandes qui y sont venues, Himmler, Heydrich, Goering, les diplomates en visite, les généraux SS. Il a assisté à toutes les grandes conférences germano-italiennes de Rome ou de Berlin et il a été à plusieurs reprises l’hôte de Hitler au Berghof. Il n’y a aucune raison à ce qu’il dénie son appartenance au parti : il est évident qu’il n’a jamais fait autre chose qu’exercer son emploi prestigieux lequel – puisqu’il semble avoir été le confident de tout le monde – devait être à la fois exigeant et passionnant. Il a laissé très clairement entendre et dans son livre, et devant moi, que cette vie l’enchantait. « Mon livre n’a jamais été publié en Allemagne, dit-il. Ils n’ont pas osé. » On ne comprend pas très bien en le lisant pourquoi ils n’auraient pas osé, sinon peut-être parce qu’il pourrait porter atteinte aux illusions de ceux qui aiment se représenter le monde nazi comme beaucoup plus endurci. Le tableau que brosse – fort bien – Dollmann, de la vie romaine en temps de guerre est certainement assez différent de ce que d’autres ont décrit, et son portrait de Hitler sort de l’ordinaire, pour ne pas dire plus.
    « Naturellement, dit-il, ma vie pendant ces années-là, n’a pas été très différente de ma vie en temps de paix. Je n’avais vraiment pas à me plaindre : j’avais mon délicieux appartement personnel à Rome ; une foule d’amis italiens tout aussi délicieux. Et parmi les Allemands, eh bien, je choisissais mes amis, comme il se doit. Bien évidemment, on ne pouvait frayer qu’avec ceux qui avaient le sens de l’humour. Comme vous savez, les possibilités parmi les Allemands sont plutôt limitées… mais il y en avait quand même quelques-uns. »
    Il apparaîtrait que, même après la défaite allemande, la vie du Dr. Dollmann s’est poursuivie assez

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