Au Fond Des Ténèbres
c’était en février 1964 – et qu’il a apporté ce journal viennois où il était dit que Wiesenthal recherchait Paul, il a dit : “J’ai envoyé mon oncle juif chez Wiesenthal” – et nous n’avons pas su s’il fallait le croire ou non. Mais étant donné les sentiments qu’il éprouvait pour nous, il n’y avait guère de raison de douter de ce qu’il disait. Un mois plus tard, en mars 1964, il a téléphoné à Paul en lui enjoignant – lui ordonnant il n’y a pas d’autre mot de le rencontrer. Paul y est allé et Havel lui a dit qu’il l’avait reconnu sur une photo parue entre-temps dans un journal de Vienne : il n’avait plus de doute désormais, Paul était bien l’homme que recherchait Wiesenthal. Paul a été fataliste là-dessus comme il l’avait toujours été : “Tu vois, m’a-t-il dit, c’est inévitable. Mais si ça doit arriver, je veux me rendre. Je ne veux pas m’enfuir.” Cela, il ne l’a pas dit une fois mais mille… »
Vous n’avez pas été surpris d’être capturé, avais-je demandé à Stangl ?
« Je n’ai pas été surpris, dit-il, je m’y étais toujours attendu. »
« Le procès de Eichmann ? dit Frau Stangl. Oui, Paul l’a suivi assidûment. Il était assis là [elle désignait un fauteuil du petit salon] et il lisait tout ce qui paraissait dans les journaux brésiliens et aussi dans les journaux allemands que nous prenions. Oui, il a toujours lu beaucoup de choses sur tout ça : des articles et de nombreux livres. Mais il n’en commentait jamais aucun devant moi – nous n’en parlions jamais : c’était tabou. Après cette affaire avec Havel et le journal viennois, il n’est rien arrivé pendant longtemps. Nous avons déménagé dans notre maison de Brooklin au début de 1965, comme vous savez, et là aussi, je vous l’ai dit, nous avons rarement parlé de ces choses. Mais il a dit une fois, bien que je ne me rappelle pas exactement à quel moment : « Si cet astucieux Wiesenthal me recherche, il n’a qu’à demander à la police ou au consulat d’Autriche – il peut me trouver tout de suite – je ne bouge pas. »
« Le récit de Herr Wiesenthal à la presse et dans son livre sur la façon dont il nous a trouvés, dit Frau Stangl – je n’y crois pas. Pourquoi faire tant d’histoires après tout ? Comme disait Paul, n’importe qui aurait pu nous trouver, à n’importe quel moment. Notre nom était inscrit au consulat d’Autriche de São Paulo depuis 1954 ; j’écrivais régulièrement chez moi ; tout le monde savait notre adresse. Il n’y avait pas de raison d’en faire un pareil roman. »
4
Il semble en effet qu’il n’y avait pas de raison « d’en faire un pareil roman », si l’on réfléchit qu’en réalité les Stangl ne pouvaient être considérés comme « ayant disparu ». L’étonnant n’est pas que Stangl ait fini par être « retrouvé », mais qu’on ait pu croire un moment qu’il était « perdu ».
Le CIC américain sembla avoir été au courant en 1945 de sa situation à Sobibor et à Treblinka ; néanmoins, il fut remis aux Autrichiens en 1947 et ceux-ci le placèrent dans une prison ouverte d’où, naturellement, il s’échappa. Arrivé à Damas, grâce à l’aide qu’il avait reçue à Rome, il a immédiatement informé sa femme de son adresse, a entretenu une correspondance régulière avec elle et, quand la famille est venue le rejoindre un an plus tard, Frau Stangl a donné toutes précisions sur leurs déplacements ainsi que sur l’adresse de Franz Stangl non seulement à sa parenté mais aussi à la police autrichienne. Leur traversée au Brésil via l’Italie en 1951, ils l’ont faite sous leur propre nom. C’est sous leur nom, une fois au Brésil, qu’ils ont vécu et travaillé. C’est sous leur nom qu’ils se sont inscrits en 1954 au consulat d’Autriche de São Paulo.
Le consul d’Autriche de l’époque, Herr Otto Heller, était encore en fonction quand j’y suis allée en 1971. Il est vrai qu’il a nié avoir inscrit Paul. F. Stangl, ou avoir par la suite transformé l’inscription en Franz P. Stangl ; et nié aussi que Stangl ait jamais mis les pieds au consulat, autant qu’il pouvait savoir. Mais il a reconnu que Frau Stangl s’était inscrite, qu’elle avait porté sur son formulaire le nom de ses enfants et qu’elle avait déclaré résider avec son mari, Franz P. Stangl. Il m’a montré deux fiches, l’une au nom de Theresa
Weitere Kostenlose Bücher