Au Fond Des Ténèbres
maladies infectieuses débilitantes, assez communes en Amérique du Sud, et son cas s’est beaucoup aggravé après l’arrestation et le procès de son père.
Isolde ou Isi, la plus jeune fille, aussi jolie que sa mère et ses sœurs, est la moins accablée – et même la moins concernée par ces terribles événements. Elle n’avait que sept ans quand la famille est arrivée au Brésil et elle appartient aujourd’hui totalement au Nouveau Continent : sa langue est le portugais, elle vient d’épouser un jeune Brésilien et si elle aussi préfère ne pas parler du passé, ce n’est pas qu’il la tourmente, c’est qu’elle s’en trouve affectivement éloignée, défendue qu’elle est par sa jeunesse ; sa mentalité, ses préoccupations sont celles d’une jeune Brésilienne ; elle est libérée du passé.
Renate a une raison très forte d’être la plus concernée. Son mariage s’est rompu un peu avant l’arrestation de Stangl et pour des raisons tout à fait étrangères à l’événement. Mais Stangl a cru jusqu’à la fin (et en dépit des arguments que j’ai été finalement en mesure de lui fournir) que son gendre Herbert Havel avait eu quelque chose à voir avec sa capture. Je lui avais demandé, en avril 1971, à quel moment il s’était rendu compte qu’il était recherché.
« En 1964, répondit-il, quand mon gendre m’a montré un journal viennois disant que Wiesenthal était à mes trousses. »
Vous croyez que votre gendre vous a livré à Wiesenthal ?
« Renate l’avait quitté. Quand il est venu me trouver en 1964, il a dit que si Renate ne revenait pas auprès de lui, il nous perdrait tous. »
À ce moment-là, l’idée de Stangl ne m’a pas étonnée parce que quatre mois plus tôt, lorsqu’il avait été condamné à la détention à vie à Düsseldorf, les journaux du monde entier avaient cité des déclarations de Simon Wiesenthal dans ce sens ; et moi-même, j’avais retiré une impression analogue de ma première rencontre à Vienne avec Herr Wiesenthal en décembre 1970. Voici par exemple ce que disait le Daily Express du 23 décembre 1970 : « Simon Wiesenthal, lui-même survivant des camps nazis, qui assistait aujourd’hui à l’audience de la cour suprême de Düsseldorf… a dit : « Si je n’avais rien fait d’autre dans ma vie que de capturer ce misérable Stangl, je considère que je n’aurais pas vécu en vain. » [Suivait un bref récit de la vie de Stangl depuis la fin de la guerre.] Le chasseur de nazis Wiesenthal était sur les traces de Stangl et a versé en 1967 3 000 livres au gendre de Stangl pour obtenir des renseignements. »
Après ma première semaine d’entretiens avec Stangl, j’ai téléphoné à Herr Wiesenthal pour vérifier de nouveau ce point du récit de l’arrestation. Herr Wiesenthal m’a répondu qu’on s’était complètement mépris sur ce qu’il avait dit ; il semble qu’il venait de recevoir une lettre de l’oncle viennois de Herbert Havel l’avertissant que celui-ci allait lui intenter un procès en diffamation. Herr Wiesenthal m’a dit alors qu’il allait tenir une conférence de presse pour préciser très nettement qu’il n’avait jamais rencontré Havel ni communiqué avec lui, qu’il n’avait jamais tenu de lui aucun renseignement sur Stangl, et qu’il ne lui avait certes jamais offert d’argent ou de récompense. (Il convient également de rappeler que Herr Wiesenthal précise nettement dans son livre : The Murderers Are Among Us [144] (les Assassins sont parmi nous ) que les 3 000 livres – 7 000 dollars – versées pour renseignements sur Stangl l’avaient été à un individu aux abois – ancien membre de la Gestapo – qui était venu le trouver à Vienne à son bureau.
Je suis heureuse que ce livre me fournisse l’occasion de reproduire ces affirmations, car Franz Stangl n’était pas le seul à croire que Herbert Havel avait contribué en quelque façon à le livrer à la justice. Sa famille, et particulièrement Renate (ex-femme de M. Havel) partageait cette opinion.
Quand j’ai répété six mois plus tard à Frau Stangl les déclarations de Herr Wiesenthal, elle a dit qu’eu égard à la suite des événements et aux citations parues dans les journaux, elle avait peine à y ajouter foi.
« Voyez-vous, dit-elle, quand Havel est venu à la maison, quelque temps après la rupture du mariage de Renate et avant que nous déménagions à Brooklin –
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