Au Fond Des Ténèbres
ces autorités dans une intention parfaitement définie : il s’agissait de savoir si l’Église mènerait une opposition active au Programme d’euthanasie décidé par l’État. Pour Hitler, la réponse était claire : il n’y aurait pas d’action immédiate et concertée. De fait, il n’y en a pas eu. Le bilan est d’une clarté lamentable. La mise à mort des enfants allemands et autrichiens malades mentaux – et malades physiques occasionnellement – commença à la fin de l’été de 1939, avant même que fût signé l’ordre infâme de Hitler. Et, au mois d’octobre, l’exécution d’ensemble du programme était en plein développement.
Devant l’étendue des preuves réunies aujourd’hui, il importe peu que l’information ait été donnée officiellement ou officieusement, qu’elle ait été reçue par des voies pures ou impures, transmise par des prêtres défroqués ou en exercice, une chose est certaine, il était littéralement impossible à l’Église – qui dispose de ce qu’on a pu appeler « les meilleurs services de renseignement du monde » – de demeurer dans l’ignorance. Et, de quelque côté qu’on se tourne, on retrouve cet épouvantable hiatus entre l’été 1939 et le printemps 1940 durant lequel aucune voix ne s’est élevée de l’intérieur des Églises allemandes.
Le premier à parler fut l’évêque protestant du Wurtemberg, Theophil Wurm qui adressa le 19 mars 1940 une lettre de protestation outragée au Dr. Frick, ministre de l’Intérieur. Même à ce moment – où des dizaines de milliers de morts avaient déjà eu lieu – le Vatican s’est tu. [Le pape ne devait faire allusion que des mois plus tard, le 15 décembre 1940, à la courageuse lettre du Wurtemberg, dans une lettre à Konrad von Preysing, évêque de Berlin [31] . Et le Saint-Père ne prit pas non plus la parole quand ses propres cardinaux M grs Bertram et Faulhaber se décidèrent enfin à protester dans leurs lettres d’août et de novembre 1940 au ministre de la Justice du Reich, Gurtner.]
Le 27 novembre 1940, un an et deux mois après l’entrée en vigueur officielle du plan d’euthanasie, le Saint-Office se réunit en conclave pour rédiger sa première déclaration officielle sur le sujet. Mais même cette déclaration, rédigée dans les termes les plus modérés, d’après laquelle « mettre fin par des moyens légaux à une vie non valable (était) un acte incompatible avec la loi divine et humaine » ne fut mentionnée qu’une seule fois, en latin, sur Radio Vatican (le 2 décembre) et en latin aussi, naturellement dans l’Osservatore romano du 6 décembre. Elle demeura donc pratiquement ignorée en Allemagne.
« Pratiquement » car, d’une façon assez extraordinaire, il se trouva un évêque allemand, M gr Preysing, pour la lire en chaire dans la cathédrale Sainte-Hedwige de Berlin, le 9 mars 1941.
Une énigme demeure : alors qu’on voit généralement dans le fameux sermon du comte Galen, archevêque de Münster, le 3 août 1941, l’acte qui contraignit Hitler à arrêter le Programme d’euthanasie, comment se fait-il qu’aucun des livres que j’aie pu lire ne mentionne le sermon prononcé par l’évêque de Berlin ? Et même dans les « Lettres aux Évêques allemands », au tome II [32] des six volumes de lettres et documents relatifs à la Seconde Guerre mondiale publiés jusqu’à aujourd’hui par le Vatican, il n’est fait allusion à ce sermon remarquable que dans une longue note en bas de page.
« C’est dans le même esprit de fidélité aux principes disait M gr Preysing, avec lequel l’Église défend le mariage, cellule morale de la population, qu’elle défend aussi le droit à la vie de l’individu. Nous savons que sont revendiquées de nos jours, en théorie et en pratique, des exceptions au droit sacré qui est celui de toute vie innocente à être défendue. On fait appel pour les justifier à des raisons d’ordre médical, économique, ou même en vérité d’eugénisme. La loi de Dieu proclame qu’aucune puissance terrestre, y compris celle de l’État, n’a le droit de prendre la vie de l’innocent. La loi divine est irrévocable… »
Et l’évêque ajoutait que le Pape avait « tout récemment » proclamé que la loi de l’Église décrétant « qu’il n’existe ni excuse ni justification pour ôter la vie aux malades et aux faibles sous quelque prétexte que ce soit… devait être
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