Au Fond Des Ténèbres
doutais pas que quelque chose allait mal – je ne soupçonnais rien. » En février 1942, après avoir « mis de l’ordre dans la pagaille de Bernburg », Stangl refit un bref séjour à Schloss-Hartheim : « Juste le temps de dire au revoir et de rassembler mes affaires. C’était fini : le personnel était encore là, mais le bâtiment était vide et silencieux – plus de malades. On me dit de me présenter à T4 à Berlin pour recevoir de nouveaux ordres. J’y suis allé et les directives ont été brèves. J’avais le choix : ou je retournais à Linz me mettre à la disposition de Prohaska ou j’acceptais un poste à l’Est, à Lublin. » (« Je crois qu’il a quitté Linz en mars, dit Frau Stangl. Je me rappelle être allée à la gare de Wels lors de son passage – nous avions dû préalablement nous y donner rendez-vous, bien que je ne m’en souvienne pas. Mais je me rappelle qu’il y avait dans ce train d’autres gens qui le connaissaient. Je me souviens aussi qu’il a sauté du train et m’a serrée très fort dans ses bras. Tout ce qu’il m’a dit est qu’il allait chercher son ordre de route à Berlin. Je n’avais que le numéro de son secteur postal. »)
Je demandai à Stangl : Que vous a-t-on dit que vous auriez à faire à Lublin ?
« On a murmuré quelque chose sur les difficultés de la situation militaire en Russie et sur la lutte contre les partisans, mais ça n’a pas été plus loin. De toute façon, le choix ne me posait guère de problèmes : j’étais prêt à affronter nuit et jour les partisans plutôt que Prohaska à Linz. On m’a dit de me rendre à Lublin et de me présenter au chef de police SS, général de brigade Globocnik. »
6
La question du rôle joué par le Programme d’euthanasie comme préliminaire à l’extermination des Juifs et la façon dont furent sélectionnés les exécutants des deux programmes n’ont jamais été pleinement élucidées.
C’est à mon avis, un point d’une importance capitale, par rapport à l’appréciation des responsabilités individuelles. Et c’était surtout pour en débattre que je suis allée trouver Dieter Allers.
Quand éclata la Seconde Guerre mondiale, Herr Allers – alors jeune juriste – travaillait à la direction de l’éducation du ministère de l’Intérieur du Reich. À la mobilisation, il fut envoyé en Pologne comme sergent instructeur. « J’étais inscrit à l’école de formation des officiers, dit-il. Mais en novembre 1940, ma mère rencontra dans une rue de Berlin, Werner Blankenburg et quand elle lui apprit ce que je faisais, il déclara : « C’est ridicule. Il y a des débouchés pour un jeune juriste dans mon ministère. Je vais arranger ça ! « C’est ainsi que je suis entré à T4. Quand Brack et Blankenburg m’ont mis au courant de ce que j’aurais à faire un mois plus tard, ils ont clairement précisé que j’en avais pour six mois. Je pensais qu’en juillet-août, je serais de nouveau dans l’armée. »
Ils vous ont dit naturellement de quoi il s’agissait ; qu’avez-vous ressenti, moralement parlant ?
« Eh bien, en ce qui me concerne, l’idée de l’euthanasie n’était pas nouvelle pour moi. J’avais lu un tas de choses sur la question. Dieu sait si elle a été débattue et envisagée depuis des siècles. Et l’intention qui présidait à l’entreprise a été complètement dénaturée par la suite. »
Herr Allers, comme beaucoup de hauts fonctionnaires nazis, est un homme intelligent. Intelligent évidemment n’est pas nécessairement synonyme de moral ; l’intelligence peut même devenir redoutable quand elle s’exerce sur des projets scélérats. Mes quatre conversations avec Herr Allers – et sa femme, constamment présente – ont été parmi les plus difficiles que j’ai dû mener pour la préparation de ce livre. En tant qu’homme et en tant qu’Allemand, Herr Allers est totalement dénué de repentir. On peut bien, d’un côté, éprouver une sorte de respect à l’envers pour celui qui a le courage ou l’entêtement de professer un idéal que tant d’autres ont si vite renié après la défaite des nazis, mais il n’en est pas moins effrayant de découvrir chez un homme d’esprit un aussi grand aveuglement devant la réalité du passé.
« Vous me demandez comment les gens entraient à T4, dit-il, pas les administrateurs, mais ceux qui travaillaient dans les instituts et tout ça. Eh bien, j’ai
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