Au Fond Des Ténèbres
était pas de même partout. » En octobre 1941, il fut envoyé à Bernburg, près de Hanovre. Le responsable de cet institut était le Dr. Eberl [autre personnage qui devait bientôt après reparaître, comme Wirth, en Pologne et dans la vie de Stangl].
« Il y avait toutes sortes de choses à régler convenablement dans les instituts », dit Stangl, d’une façon assez vague, au sujet de sa « tournée » à Bernburg. « J’avais à m’occuper de droits de succession, d’assurances, etc. Après tout, quelques-uns de ceux qui mouraient laissaient des enfants dont il fallait prendre soin. Bernburg, c’était la pagaille. »
Possible ; mais d’après les documents, c’est Bernburg, de même que Hartheim, qui a servi à partir de 1941 à supprimer par les gaz les prisonniers politiques « désignés » pour l’euthanasie selon les formules de « 14 f 13 » établies par une commission de psychiatres, au premier rang desquels les professeurs Heyde et Nitsche et le Dr. Fritz Mennecke –, tous morts aujourd’hui.
Je demandai à Stangl : Vous ne vous doutiez absolument pas que les personnes gazées alors étaient des prisonniers politiques provenant des camps de concentration ?
« Non, je n’ai pas eu affaire avec ça du tout. En tout cas, je ne l’ai jamais su. »
Franz Suchomel, pourtant, le savait ; il lui est plus facile évidemment d’admettre la chose puisqu’il était stationné à ce moment-là à T4 à Berlin. « Hartheim a fonctionné jusqu’à la fin de la guerre, dit-il. On y amenait des gens de Mauthausen ; d’ailleurs que Mauthausen, je ne sais pas. Mais j’ai entendu dire qu’on gazait encore à C [Hartheim] quand les « Amis » [Américains] étaient déjà sur le Rhin. »
Eu égard à cette relation des faits concernant Bernburg et Schloss-Hartheim à l’époque où Stangl s’y trouvait encore, il est difficile de ne pas mettre en doute la véracité de ses protestations d’ignorance. Tout au plus – et la chose n’est pas en contradiction avec son caractère – du fait qu’il ne voyait pas les victimes en chair et en os mais se bornait à contrôler dans les limites de sa charge des « certificats d’aliénation », transmis par la commission, il se peut qu’il ne lui soit pas venu à l’idée de mettre en question les signatures de spécialistes aussi éminents que Heyde, Nitsche et Mennecke. On peut à la rigueur concevoir qu’il ait considéré ces documents comme véridiques et ne se soit jamais rendu compte que ces malades-là étaient en réalité des hommes et des femmes en bonne santé.
Tout en demeurant sceptique sur ce point, je suis convaincue que Stangl s’arrangea pour tenir sa femme dans une parfaite ignorance de ce qui se passait à Schloss-Hartheim. Le secret imposé n’était pas seul à le retenir : il se sentait aussi profondément dépendant de la bonne opinion qu’elle pouvait avoir de lui en tant qu’époux, père, responsable de l’existence familiale, fonctionnaire bien noté – et en tant qu’homme, également. Et tout en étant persuadé [comme l’étaient tous ces hommes] que le Programme d’euthanasie ne manquait pas de justification, et même si une remarque qu’elle lui avait faite incidemment (et qu’elle me rapporta plus tard) pouvait lui laisser à penser qu’elle n’aurait pas été en total désaccord, au moins théoriquement avec ce point de vue, il ne pouvait pas avoir la certitude qu’elle ne serait pas horrifiée à la pensée qu’il était personnellement et activement impliqué dans cette affaire et il n’aurait sûrement pas couru le risque d’affronter les conséquences d’une pareille réaction.
« Oui, me dit Frau Stangl au Brésil, naturellement je me souviens qu’il fut appelé à Berlin. Il ne savait pas [ce qu’était T4] ; il n’avait pas la moindre idée de ce qu’on lui voulait. C’est ainsi à coup sûr que les choses me sont apparues. À son retour, il m’a dit simplement qu’il était chargé d’une mission spéciale, mais pas trop loin, et que nous pourrions nous voir souvent. Il a ajouté qu’il s’agissait d’un secret d’État, qu’il n’avait pas le droit d’en parler et je n’ai donc pas posé de questions. Je l’ai vu à partir de ce moment toutes les deux semaines : rien ne m’a paru changé en lui durant cette période. Mais évidemment quand il venait ainsi à la maison, il ne restait que quelques heures ou une nuit. Non, je ne me
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