Au Fond Des Ténèbres
gare de Sobibor. Le bâtiment de la gare, et, perpendiculairement, une cabane de forestier et une grange, c’est tout. Rien que ces trois baraques en bois. »
Et qu’avez-vous trouvé à Sobibor ?
« Ça a été une surprise, me dit-il la première fois, car il y avait des gens que je connaissais déjà : ils avaient été… euh, vous savez… du Programme d’euthanasie. Un, surtout, Michel, qui avait été infirmier en chef à Hartheim. » [Il fit la même réponse lors d’une seconde entrevue, mais quand je lui posai la même question, six semaines plus tard, il me dit, tout à coup, que Michel avait en réalité fait le voyage de Sobibor avec lui.]
N’avez-vous pas été un peu surpris de trouver là Michel ? Qu’est-ce que vous avez pensé en voyant un infirmier dans un camp de ravitaillement ?
« Oh ! je n’ai vraiment rien pensé du tout. Je savais bien sûr que L’Aktion était terminée. Donc le personnel était disponible – il fallait en faire quelque chose. Et de plus c’était drôlement agréable pour moi d’avoir là un ami. »
Je me rendais évidemment parfaitement compte que l’histoire de ses débuts en Pologne et également celle de l’Institut d’euthanasie étaient en partie des fables, en partie une justification et en partie une dérobade. Mais l’ayant bombardé de questions à ce sujet, chaque fois que l’occasion s’en présentait, j’espérais que si je n’y allais pas trop fort, il lui serait possible plus tard d’y revenir pour me dire la vérité sur le reste, si difficile que ce fût.
Il a continué à décrire les travailleurs polonais comme une bande de « flemmards ». « Ils vivaient dans le voisinage et rentraient chez eux le soir – sans doute pour se saouler avec leur slivovitz. En tout cas, ils arrivaient toujours en retard le matin. »
Après deux ou trois jours il obtint un commando de travail juif de vingt-cinq hommes, me dit-il, avec quelques gardes ukrainiens venant d’un camp d’entraînement proche, Trawniki. « À cette époque, nous n’avions réellement rien, aucune commodité pour personne. Ces premières semaines, nous avons vécu entassés tous ensemble. »
Qu’entendez-vous pas « tous ensemble » ? Le personnel allemand, les gardes ukrainiens et les Juifs ?
« Au début, nous n’avions qu’une baraque pendant que nous construisions les autres. Nous, nous dormions sur le plancher de la cuisine et les autres dans le grenier. Nous partions vraiment à zéro. »
Quand, pour la première fois, avez-vous découvert la destination réelle du camp ?
« Il est arrivé deux choses : au bout de trois jours, je pense, Michel est venu me trouver en courant un matin, me dire qu’il avait découvert une drôle de baraque dans les bois, derrière. « Je pense qu’il va se passer quelque chose de pas très catholique ici. Viens voir si ça ne te rappelle rien ? »
Que voulait-il dire « dans le bois » ?
« C’était à dix ou quinze minutes de marche de la gare, où nous étions en train de construire le camp principal. Il y avait un bâtiment neuf, en briques, avec trois pièces de trois mètres sur quatre. Dès que je l’ai vu, j’ai compris ce que Michel voulait dire : ça ressemblait exactement à la chambre à gaz de Schloss-Hartheim. »
Mais qui l’avait construite ? Comment est-il possible que vous ne l’ayez pas découverte plus tôt, ni vue sur les plans ?
« C’est les Polonais qui l’avaient bâtie et ils ne savaient pas ce que c’était. Ni Michel ni moi n’avions eu le temps de nous promener dans les bois. Nous avions trop à faire. Oui elle était sur le plan comme bien d’autres bâtiments… » le reste de la phrase demeura en suspens.
Bon, vous ne le saviez pas, mais maintenant vous le saviez. Qu’est-ce que vous avez fait ?
Il avait rougi, je ne sais trop pourquoi ; est-ce parce qu’il avait été pris en flagrant délit de mensonge ou à causé de ce qu’il allait dire ensuite. Habituellement, il rougissait plutôt avant qu’après.
« Le second fait dont j’ai parlé a eu lieu presque en même temps. Un gars du service des transports, un sergent, est arrivé de Lublin, complètement saoul et m’a dit, à moi [il était encore furieux rien que d’y penser] que Globocnik n’était pas content de l’avancement des travaux du camp et qu’il lui avait dit de me dire que « si ces Juifs ne travaillaient pas convenablement, je n’avais qu’à les tuer, il
Weitere Kostenlose Bücher