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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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camp. J’ai demandé si je pouvais monter et on m’a dit : “À votre place, je ne le ferais pas, il est fou de rage. Il ne fait pas bon être près de lui.” J’ai demandé pourquoi. Mon interlocuteur m’a dit qu’une des fosses avait débordé. On y avait mis trop de cadavres et la putréfaction était allée trop vite, de telle sorte que le liquide en dessous avait soulevé les corps par-dessus bord et qu’ils avaient roulé en bas de la colline. J’en ai vu quelques-uns. Dieu ! c’était atroce. Peu après Wirth descendit. Et c’est alors qu’il m’a dit… »
    Les documents fournissent de nombreuses descriptions horriblement imagées du Belsec de Wirth où les installations tombaient en panne constamment, infligeant des souffrances inimaginables aux déportés. Ils attendaient là, dehors, nus, sans nourriture et sans eau, quelquefois pendant plusieurs jours ; ou bien ils étaient empilés dans des wagons dont le plancher était recouvert de chaux et laissés là, suffocants, sur une voie de garage, à quelques centaines de mètres du camp. Ces conditions – dont manifestement Stangl a été le témoin du début en avril 1942, ont été décrites par Jan Karski dans The Story of a Secret State [49] et par Kent Gerstein. Les deux hommes ont visité Belsec. Gerstein le fit en tant que lieutenant du service de Santé SS et sa description des chambres à gaz est sans doute la plus terrible qui nous vienne de cette époque approximativement. La personnalité de Gerstein quelque peu ambiguë mais sans aucun doute torturée, a été longuement analysée dans la littérature (bien que sa mort à la prison de Fresnes, le 17 juillet 1945, demeure enveloppée de mystère). Karski (maintenant professeur à l’université de Georgetown près de Washington D.C.) qui était un indomptable agent du gouvernement polonais en exil, passa une journée à Belsec déguisé en garde ukrainien. Sa description de l’extermination des Juifs en Pologne parvint à Londres et à Washington dès octobre 1942 (et vraisemblablement aussi, au moins par la valise diplomatique, au Vatican). Bien que l’extermination des Juifs en Pologne fût parfaitement connue alors des Alliés – et du Vatican – la description détaillée de Karski à la presse mondiale, aux membres du Parlement, aux membres du Congrès et aux chefs religieux à Londres et à Washington, ses rencontres avec Anthony Eden et avec le président Roosevelt fournissent le premier rapport d’un témoin oculaire. Si auparavant un doute quelconque avait pu subsister, après avoir rencontré Karski ou après avoir lu son rapport, les chefs alliés connaissaient avec précision la vérité sur ce qui se passait en Pologne.
    Je n’avais aucun doute sur la sincérité de Stangl quand il m’avait fait part de ses réactions à Belsec. Aucun doute non plus que ce fut pour lui le véritable instant de la décision : le moment où il aurait pu braver ce qu’il considérait certainement comme un péril mortel en prenant position… et où il ne le fit pas parce qu’il n’avait pas en lui les ressources…
    « J’ai dit [à Wirth] que je ne pouvais pas faire ça ; je n’étais pas fait pour ce poste. Il n’y a pas eu moyen de discuter. Wirth dit simplement que ma réponse serait transmise au Q.G. et que je devais retourner à Sobibor. En fait je suis allé à Lublin, j’ai essayé à nouveau de voir Globocnik, de nouveau en vain ; il ne voulait pas me voir. De retour à Sobibor, Michel et moi nous avons parlé, parlé de tout cela. Ce qu’ils étaient en train de faire, c’était un crime, nous étions bien d’accord là-dessus. Nous avons envisagé de déserter, nous en avons parlé longuement. Mais comment ? Où aller ? Et nos familles ? » Il s’arrêta à l’endroit même où, comme il me le dit, Michel et lui avaient dû s’arrêter de parler. Puisqu’ils ne pouvaient ni n’osaient rien faire – il n’y avait plus rien à dire.
    Mais vous avez reconnu ce jour-là, que ce qui se faisait, était criminel ?
    « Oui je le savais. Michel le savait. Mais nous savions aussi ce qui était arrivé dans le passé à d’autres qui avaient dit non. La seule issue que nous pouvions entrevoir, c’était d’essayer de nous faire déplacer par des moyens détournés. Par la voie officielle, c’était impossible. Comme Wirth l’avait dit, cela conduisait “sous terre les pieds devant”. Wirth est venu à Sobibor le jour suivant. Il m’a

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