Au Fond Des Ténèbres
m’en enverrait d’autres ».
Ça voulait dire quoi, pour vous ?
« Le lendemain même j’ai été voir Globocnik à Lublin. Il m’a reçu tout de suite. Je lui ai demandé : « Comment ce sergent a-t-il osé me transmettre un tel message ? De toute façon je suis officier de police : comment peut-on penser que je pourrais faire quelque chose comme ça ? « Globocnik est devenu très amical. Il m’a dit que je m’étais mépris : ce n’était que du surmenage. « Il faut qu’on vous donne une permission. Vous allez retourner au camp et continuer la construction. Ça marche très bien avec vous. Je peux me débrouiller pour que votre famille vienne passer quelque temps. « Alors je suis parti. Que pouvai-je faire d’autre ? »
Avez-vous parlé à Globocnik des chambres à gaz ?
« Je n’en ai pas eu l’occasion, répondit-il d’un ton ferme. Je suis rentré à Sobibor et j’ai parlé avec Michel. Nous avons décidé que d’une manière ou d’une autre, il fallait se tirer de là. Mais le lendemain est arrivé Wirth. Il m’a demandé de rassembler le personnel allemand et il leur a fait un discours – tout aussi effroyable et tout aussi vulgaire que ceux de Hartheim. Il a dit que les Juifs qui ne travailleraient pas convenablement seraient “éliminés”. “Et s’il y en a qui n’aiment pas ça, ils peuvent s’en aller mais les pieds devant.” « C’était sa manière d’être drôle. Et il est reparti. Je suis retourné à Lublin le matin suivant. Le commandant Höfle [46] adjoint de Globocnik m’a laissé attendre dans le bureau toute la journée et même le matin suivant. Finalement il m’a dit que le général ne pouvait me recevoir.
Je suis reparti à Sobibor. Quatre jours plus tard, un courrier est arrivé de Lublin avec une lettre officielle de Globocnik m’informant – dans un style glacial – que Wirth avait été nommé inspecteur des camps et que je devais me présenter à lui à Belsec, sur-le-champ. »
Wirth avait eu les deux commandements de Chelmno et de Belsec, un ensemble beaucoup plus important. À Chelmno, où il s’était avéré que la méthode des camions à gaz était inapplicable à cause de l’énorme travail de manutention [47] il s’est vanté d’avoir inventé les Sonderkommandos juifs [48] (sans doute à tort, car cette idée, inspirée de la légende des tombes pharaoniques, semble plutôt émaner du cerveau fertile de Heydrich). À Belsec, les premières exterminations à grande échelle dans les chambres à gaz avec système mécanique d’injection de gaz avaient commencé en mars 1942.
« Je ne peux vous décrire ce que c’était », dit Stangl ; il parlait lentement maintenant, dans son allemand le plus formaliste, le visage tendu et sombre. Il s’est passé la main sur les yeux et s’est frotté le front. « Je suis arrivé en voiture. En arrivant, on trouvait d’abord la gare de Belsec, sur le côté gauche de la route. Le camp était du même côté, mais sur une colline. La Kommandantur était deux cents mètres plus loin, de l’autre côté de la route ; c’était un bâtiment à un étage. L’odeur… Oh ! Dieu, l’odeur, dit-il. Elle était partout. Wirth n’était pas dans son bureau. Je me souviens qu’on m’a conduit auprès de lui… il était debout sur une colline, près des fosses… les fosses… pleines, elles étaient pleines. Je ne peux pas vous dire ; pas des centaines, mais des milliers, des milliers de cadavres. Oh ! Dieu… C’est là que Wirth m’a dit – il m’a dit que Sobibor, c’était pour ça, et qu’il m’en chargeait officiellement. »
Sans aucun doute, Stangl, comme il le proclamait, a découvert ce jour-là, à Belsec, ce qu’était réellement un camp de la mort en action. Cependant, il allait cette fois encore me donner deux versions différentes, du moins dans les détails. [Du point de vue des faits eux-mêmes, c’est de peu d’importance. Mais d’un point de vue psychologique, si l’on considère ses faux-fuyants, le maquillage des faits et le souci de donner une image favorable de lui-même, cela revêt une signification profonde, et, plus précisément révèle l’intensité de son émotion et peut-être même le choc psychologique profond que nos conversations déclenchaient en lui.]
La seconde fois que je lui ai demandé de me raconter cette histoire, il a dit : « Wirth n’était pas dans son bureau ; on m’a dit qu’il était dans le
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