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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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de large encore en bon état partant de la voie ferrée et pénétrant dans les bois. Elle a été construite soit du temps de Stangl, soit du temps de son successeur Reichleitner, les SS l’appelaient “la route du ciel” ( Himmelfahrtsstrasse ). Le terrain adjacent à la rampe de débarquement, pas plus large qu’un terrain de football, était appelé le Camp II. Astucieusement divisé par des sortes de clôtures aveugles en carrés et en couloirs, avec de nombreuses “portes” étroites entre les carrés, il permettait la séparation systématique des déportés qui débarquaient, sans éveiller leur inquiétude. Du point d’arrivée sur la rampe, seuls étaient visibles les cloisonnements, abondamment camouflés avec des feuillages persistants, les arbres au fond, et à gauche, le petit groupe de baraques (maintenant espace nu et ouvert) connu comme le Camp I et où le personnel SS, les gardes ukrainiens et les travailleurs juifs vivaient et travaillaient. C’est tout ce que les 250 000 [52] personnes assassinées à Sobibor ont jamais pu voir.
    J’ai suivi la route qu’ils ont foulée – seulement maintenant tout n’est que silence et solitude. Au bout de huit cents mètres environ, elle se termine par une large étendue de terre nue. Au centre, face à la route, se dresse un énorme tertre de terre, une sorte de colline artificielle de dix mètres de haut ; la partie inférieure est encerclée d’une bande de terre posée sur des millions de petits cailloux. Exactement au milieu a été réservé un petit carré plein de fleurs sauvages séchées. Ce monticule, maintenant revêtu de gazon et de buissons indique l’emplacement des trois chambres à gaz et symbolise en quelque sorte la tombe de tous ceux qui y sont morts.
    L’air est transparent et pur. On entend des oiseaux, parfois le sifflement et le fracas d’un train, le caquetage lointain des poules, bruits familiers qui, il y a trente ans, ont dû un instant, faire illusion et rassurer. Mais la terre autour du tertre est noire et terriblement fine, alors que partout ailleurs à Sobibor le sol sableux et brun clair cède sous les pieds. Et on a beau faire effort pour prendre de la distance, on est saisi d’une sorte de haut-le-cœur en réalisant que – même après trois décennies – on est en train de marcher sur des cendres.
    Le gardien de ces lieux est Wladzimier Gerung, forestier de la région, qui vit avec sa femme dans une maison neuve de l’autre côté du chemin de fer, à une vingtaine de mètres de la gare. Sans être annoncés, nous sommes allés les voir. De haute taille, l’allure aisée, le visage ouvert, d’un abord courtois et serein, les Gerung sont arrivés à Sobibor il y a dix-huit ans. Mais pendant toute la guerre, alors qu’elle était petite fille, Pani [53]  Gerung a vécu près de Chelin. « Certes, dit-elle, les gens à Chelm savaient ce qui se faisait à Sobibor. Comment auraient-ils pu ne pas le savoir ? Ils pouvaient le sentir – l’air sentait le rance à trente kilomètres d’ici. Et la nuit, le ciel était illuminé par leurs terribles feux. »
    Je lui ai demandé si elle-même, ou si les gens qui vivaient autour d’elle, en voulaient aux Juifs. Elle a secoué la tête : « Non. C’était seulement… il n’y avait vraiment rien à faire, sauf, quelquefois, ce que nos voisins ont fait. »
    Les voisins, des fermiers, avaient recueilli les deux enfants d’un colporteur juif quand les parents avaient été mis dans un ghetto ; une fillette de cinq ans et un garçon de quatorze ans. Le garçon, apprenant que ses parents et le reste du ghetto avaient été “envoyés ailleurs”, avait disparu. Mais le fermier adopta légalement la petite fille et la garda comme sa propre enfant. La petite fille, dit Pani Gerung, avait bien le type juif ; et au début on s’est passé les enfants, de maison en maison, pour les garder cachés. « Parents et amis, tout le monde s’en est chargé continua-t-elle. La petite fille se prénommait Elisabetta. En 1947 des parents se sont présentés et l’ont emmenée en Israël. Elle a écrit aux fermiers pendant plusieurs années. Puis les lettres ont cessé. Maintenant ils sont vieux et sourds. Elle leur manque terriblement. »
    Durant l’occupation, tout Polonais pris à aider ou à cacher un Juif était sommairement exécuté ; pas de défense possible ni de jugement ; le châtiment était automatique. Il n’en est pas moins vrai, en dépit

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