Au Fond Des Ténèbres
canon du fusil – un moment après nous entendons le garde qui a tiré se vanter auprès de ses camarades qu’il les a “eus” tous les deux d’une seule balle à travers les deux têtes. »
Hubert Pfoch m’a dit à Vienne en 1972 quand je l’ai rencontré que ses amis et lui-même avaient demandé à leur officier – un jeune lieutenant – d’intervenir auprès de l’officier SS responsable.
« Il a accepté, m’a dit Herr Pfoch, mais quand il a fait remarquer à l’officier SS qu’un spectacle aussi horrible était indigne de l’Allemagne et de l’honneur allemand, le SS hurla que si notre officier et notre bande d ’Ostmarkler (Ostmark était le terme employé par les nazis pour désigner l’Autriche comme une province du III e Reich) n’aimions pas ça et si nous ne la fermions pas, il serait très heureux d’ajouter un wagon spécial pour nous et nous pourrions nous joindre aux Juifs et aux fauteurs de guerre pour faire connaissance avec Treblinka. »
Les pages suivantes du journal de guerre du jeune Pfoch semblent prouver que la mémoire de Stangl était fidèle.
« Quand enfin notre train quitte la gare, écrivait Pfoch, cinquante morts au moins, femmes, hommes et enfants, certains totalement nus, gisent le long de la voie. Nous avons vu la police juive les ramasser – et toutes sortes d’objets de valeur ont disparu dans les poches. Pour finir, notre train a suivi l’autre et nous avons continué à voir des corps des deux côtés de la voie – enfants et autres. On dit que Treblinka est un “camp d’épouillage”. Quand nous arrivons à la gare de Treblinka, le train est à nouveau à côté de nous. Il règne dans la gare une atroce odeur de cadavres en putréfaction et certains d’entre nous vomissent. Les appels à boire suppliants s’intensifient, les tirs des gardes continuent, au hasard… Ils sont 300 000 rassemblés là continuait Pfoch [et il faut se rappeler que ce journal a été écrit en août 1942] : Chaque jour dix ou quinze mille sont gazés et brûlés. Tout commentaire est totalement superflu… »
Et il ajoute alors, tentative évidente pour rendre son journal un peu moins dangereux au cas où il serait trouvé : « On dit que des armes ont été découvertes dans les ghettos et que c’est la raison de ces représailles. »
Stangl m’a raconté que lors de sa première visite à Treblinka, c’était le Dr. Eberl, le commandant, qui lui en avait fait faire le tour. « Ça tirait un peu partout… Je lui ai demandé ce qu’il était advenu des objets de valeur, pourquoi ils n’avaient pas été envoyés au Q.G. Il a eu le toupet de me dire, face à tout le déballage que nous venions de traverser : “Les convois sont pillés avant leur départ de Varsovie.”
« Je suis retourné immédiatement à Varsovie et j’ai dit à Globocnik que c’était impossible d’exécuter là-bas les ordres qu’il m’avait donnés. “C’est la fin du monde”, ai-je dit, et je lui ai parlé des milliers de corps pourrissants. “On a bien pensé que ce serait la fin du monde pour eux”, m’a-t-il répliqué. Il m’a dit de passer la nuit à Varsovie et qu’il allait appeler Wirth pour une réunion.
« J’avais entendu dire que le nouveau chef de la police de Varsovie était originaire de la même ville que ma femme, en Autriche. Après avoir quitté Globocnik je suis allé le voir et l’ai supplié de m’aider à obtenir mon changement. »
Lui avez-vous parlé de Treblinka ?
« Non, non, vous n’y pensez pas ; ça aurait été de la folie ; les consignes de secret étaient absolues. »
C’était évidemment ridicule, puisqu’il avait constaté la présence de “putains venant de Varsovie” près du camp, pour ne pas parler de ce qu’on a appris depuis. Néanmoins les documents prouvent aussi qu’il existait bien des règlements rigoureux de sécurité, si vains qu’ils aient été.
« En tout cas, il a dit qu’il m’aiderait, qu’il essaierait de me faire transférer dans une unité antipartisans. Il a tout noté – j’ai vraiment pensé que cette fois-là, ça marcherait. Mais ça n’a pas marché. Je n’ai jamais plus entendu parler de lui. Bien sûr, toute mutation exigeait la signature de Globocnik, sans ça rien ne pouvait être fait. Et je me rends compte maintenant à quel point c’était idiot d’espérer quoi que ce soit. Globocnik ne m’aurait jamais laissé partir…
« Wirth est arrivé le
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