Au Fond Des Ténèbres

dévoué.) « Il m’a semblé que le chaos – le relâchement de toute sécurité – avait pu être organisé délibérément pour rendre tout contrôle impossible et permettre à quelqu’un de passer par-dessus la tête du Q.G. en Pologne [Globocnik] et porter l’affaire directement à la Chancellerie du Fürher à Berlin. » Il avait un ton si mystérieux, maintenant encore, qu’en vérité on croyait à son histoire. Il a continué, toujours avec des airs mystérieux, en mentionnant des noms comme Blankenburg qu’il disait avoir toujours suspecté de trafic illégal de biens juifs.
    Mais est-ce que tout cela ne revenait pas au même, pour finir ?
    « Oh ! vous n’avez pas idée des rivalités et des intrigues entre les différents départements, sections, ministères et individus. Il y avait des sommes énormes – fantastiques – en jeu et chacun voulait sa part du gâteau, et chacun voulait le contrôle. »
    Bien que le butin des camps d’extermination n’ait pas été comme je l’ai dit, aussi considérable que Stangl semblait le penser, cette dernière affirmation se trouve étayée par l’histoire qui fournit de multiples preuves de la cupidité et des jalousies entre les différents services de l’administration nazie en ce qui concerne les dépouilles de la « solution finale ». Un intéressant rapport – qui m’a été confirmé plus tard par Suchomel – parle d’un « envoyé » de Berlin, arrivant avec ordres et « sacoche » de la part de Blankenburg, pour ramener un million de marks. « Nous avons fourré un million là-dedans, m’a dit Suchomel et il est reparti avec pour Berlin. » Les documents font également mention à maintes reprises des irrégularités financières de Globocnik ; après avoir été mêlé à des spéculations monétaires il fut déplacé de son poste de gauleiter de Vienne, rétrogradé et renommé à Lublin uniquement à cause de son antisémitisme virulent bien connu, et de son amitié avec Himmler (qui l’appelait « Globus », c’est-à-dire Globe).
    Quoi qu’il en soit, Stangl admirait réellement Globocnik et allait bientôt devenir son « homme ». Il s’était installé dans le cantonnement d’Eberl et, pendant les deux semaines qu’il est resté, Wirth, au dire de Stangl, avait la chambre d’invité à côté de la sienne. Durant cette quinzaine de septembre, Wirth apprit un soir à Stangl que Kurt Franz dont la réputation de brutalité l’avait précédé, allait arriver sous peu « pour secouer les puces à tout le monde ». « Je suis allé voir Globocnik, a précisé Stangl, et je lui ai dit que j’étais persuadé qu’Eberl et Wirth avaient combiné l’envoi des valeurs de Treblinka à Berlin au lieu d’opérer le transfert au Q.G. de Pologne. Globocnik a répliqué “Oh ! les salauds” comme s’il comprenait enfin quelque chose qui l’intriguait depuis le début. Je lui ai dit que je veillerais à ce que tout le matériel soit livré désormais en bon état et au complet à son bureau. »
    Cette fois encore les dates sont fausses ; car on sait que Stangl et Kurt Franz (et non pas Wirth) étaient tous deux à Treblinka le 11 septembre, quand un SS (Max Bielas) a été tué par un prisonnier – acte si rare et héroïque que beaucoup de gens bien sûr en ont gardé un souvenir précis. Mais les dates ne présentent qu’un intérêt secondaire. Au procès de Stangl, ce que la cour a estimé important, c’était la motivation ; et l’accusation a contesté plus tard que l’offre de Stangl à Globocnik ait été inspirée – comme il avait tenté de l’établir – par son désir de limiter ses fonctions dans le camp, mais bien plutôt, quand il apprit l’arrivée de Kurt Franz (et quelle qu’ait pu être la date) par le souci de sauvegarder sa position supérieure dans la hiérarchie. Ce point de vue semble trouver confirmation chez Stangl lui-même, dans la seconde série de nos entretiens, neuf semaines après la première entrevue quand il m’assura que c’est à partir de ce moment-là que Globocnik l’avait considéré comme un « homme à lui », sur la loyauté duquel il pouvait complètement s’appuyer.
    Mais si vous avez fait cette offre à Globocnik, lui ai-je dit , cela impliquait que vous lui proposiez de vous-même votre collaboration, n’est-ce pas ?
    « Tout ce que j’ai fait, a-t-il répliqué âprement, son visage accusant une fois de plus le changement devenu