Au Pays Des Bayous
sans faire état de détails ou d'anecdotes que développeront ensuite d'autres témoins, résume assez bien la randonnée de Cavelier à la tête d'une caravane qui comprenait plus de cinquante personnes. Après l'introduction d'usage, le notaire, dont nous avons, pour la commodité de la lecture, modernisé l'orthographe, raconte : « Le vingt-septième décembre mille six cent quatre-vingt-un, M. de La Salle étant parti à pied [du fort Frontenac] pour rejoindre M. de Tonty qui avait, avec ses gens et tout l'équipage, pris le devant, le joignit à quarante lieues du pays des Miami où les glaces l'avaient obligé de s'arrêter au bord de la rivière de Chékagou 2 , pays des Maskouter. Les glaces étant devenues plus fortes, on fit faire des traîneaux pour traîner tout le bagage, les canots et un Français qui s'était blessé, tout le long de cette rivière et de celle des Illinois l'espace de soixante-dix lieues. Enfin, tous les Français s'étant rassemblés, le vingt-cinquième janvier mille six cent quatre-vingt-deux, on arriva à Pimitéoui [aujourd'hui la ville de Peoria], où la rivière n'étant plus glacée que par endroits on continua la route jusqu'au fleuve Colbert 3 , éloigné de Pimitéoui de soixante lieues ou environ et du village des Illinois de quatre-vingt-dix lieues ou environ. On arriva au bord du fleuve Colbert le sixième de février et on séjourna jusqu'au treizième pour attendre les Sauvages que les glaces avaient empêchés de suivre. Le treizième, tout le monde s'étant rassemblé, on partit au nombre de vingt-deux Français portant armes, assistés du R.P. Zénobe Membré, récollet missionnaire, et suivis de dix-huit Sauvages, de ceux de la Nouvelle-Angleterre et quelques femmes Algonquin, Otchipois et Huron. Le quatorzième on arriva au village des Maroa (Tamaora) consistant en cent cabanes qu'on trouva vides (les Indiens étaient partis chasser le bison). Après avoir navigué jusqu'au vingt-sixième février, l'espace d'environ cent lieues sur le fleuve Colbert, ayant séjourné pour chasser, un Français s'étant égaré dans les bois et ayant été rapporté à M. de La Salle qu'on avait vu quantité de Sauvages dans le voisinage, sur la pensée qu'ils pouvaient avoir pris ce Français, il fit faire un fort à la garde duquel ayant laissé M. de Tonty avec six hommes, il alla avec les vingt-quatre autres pour ravoir le Français et reconnaître les Sauvages. Ayant marché deux jours à travers bois sans en trouver, parce qu'ils avaient tous fui par l'appréhension des coups de fusil qu'ils avaient entendus, il envoya de tous les côtés les Français et Sauvages à la découverte avec ordre, s'ils trouvaient des Sauvages, d'en prendre en vie sans leur faire de mal, pour savoir des nouvelles de ce Français. Le nommé Gabriel Barbier, avec deux Sauvages, en ayant rencontré cinq de la nation des Chikasha [Chicacha], en amenèrent deux. On les servit le mieux qu'on put après leur avoir fait entendre qu'on était en peine d'un Français et qu'on ne les avait pris que pour le retirer d'entre leurs mains s'il y était et ensuite faire avec eux une bonne paix, les Français faisant du bien à tout le monde. Ils apprirent qu'ils n'avaient point vu celui que nous cherchions mais que la paix serait reçue de leurs anciens avec toute sorte de reconnaissance. On leur fit force présents et, comme ils avaient fait entendre qu'une de leurs bourgades n'était éloignée que d'une demi-journée de chemin, M. de La Salle se mit en chemin le lendemain pour s'y rendre… »
Le procès-verbal, déposé aux Archives nationales, se poursuit dans le même style notarial et tient en trois pages.
L'égaré, un armurier nommé Pierre Prudhomme, ayant été retrouvé sain et sauf, Cavelier donna son nom au fort qu'on venait d'achever et le voyage, qui n'avait rien d'une aimable croisière, reprit.
Pour ces pionniers qui ne disposaient d'aucune carte ni relevé fiable, le Mississippi devait être, à l'époque encore plus qu'aujourd'hui, rempli d'obstacles naturels tels que bancs de sable affleurants, arbres à la dérive, sauts imprévus ou tourbillons nés de la confluence de rivières inconnues, qui obligeaient à des portages exténuants. La navigation, rendue hasardeuse par les crues soudaines que provoquent souvent les orages tropicaux, devenait encore plus risquée dans les approches du delta, où le fleuve se peuplait d'alligators à l'affût d'une proie sous des nuées de
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