Au Pays Des Bayous
l'astre, d'où l'on déduisait la latitude du site considéré. Le notaire Jacques de La Métairie nota d'ailleurs scrupuleusement le relevé du 9 avril 1682 : 27 degrés d'élévation du pôle septentrional. Cependant, pour faire un point précis, il eût fallu déterminer aussi la longitude, ce qui était impossible avec les instruments de l'époque. L'explorateur ne possédait pas d'horloge astronomique, ni même de chronomètre, et le méridien de Greenwich n'avait pas encore été choisi comme référence par le Bureau des longitudes ! Cette lacune avait joué de mauvais tours à plus d'un navigateur, y compris au plus fameux d'entre eux, Christophe Colomb. Une telle imprécision, aggravée par l'absence de repères dans le décor plat du delta où le Mississippi joue sans arrêt, au rythme des marées, sous l'influence d'une tornade ou par l'apport soudain d'un bayou, à modifier le réseau de ses innombrables bras navigables, devait conduire Cavelier de La Salle à sa perte et la Louisiane à l'abandon.
Mais, le 10 avril 1682, Cavelier et ses compagnons ne pensaient qu'à prendre le chemin du retour vers la Nouvelle-France. L'explorateur parce qu'il entendait faire part de sa découverte au comte de Frontenac, les autres parce qu'ils souhaitaient rentrer chez eux. La remontée du fleuve ne fut pas de tout repos. Gonflé par la fonte des neiges dans le haut de son cours, le Mississippi roulait des eaux tumultueuses. Il fallut ramer ferme, souvent le ventre creux, tantôt en se battant, tantôt en rusant avec des tribus hostiles, pendant deux bonnes semaines, avant d'atteindre le pays des gentils Taensa qui hébergèrent et nourrirent les découvreurs de la mer Vermeille. À peine la flottille avait-elle repris sa navigation vers le nord que Cavelier tomba malade. Incapable de voyager, il dut s'arrêter quarante jours au fort Prudhomme pour se reposer, tandis que le fidèle Tonty était envoyé en éclaireur pour porter la grande nouvelle à Québec. L'homme à la main d'argent avait dû composer avec des tribus en guerre contre les Iroquois, et n'était arrivé qu'au pays des Illinois quand M. de La Salle, à demi guéri, se mit en route. Il rejoignit son lieutenant à Michilimackinac en septembre. Fidèle à sa tactique, qui consistait à jalonner de forts, centres de civilisation attractifs pour les négociants et les Indiens, la route liquide qui permettrait désormais de se rendre du pays des Grands Lacs jusqu'au golfe du Mexique sans quitter le territoire français, l'explorateur prit le temps de construire sur l'Illinois, près du confluent de la rivière Divine, un nouvel établissement, qu'on appela fort Saint-Louis des Illinois.
À peine la forteresse fut-elle achevée que des centaines puis des milliers d'Indiens, Abnaki, Miami, Chaouanon et Illinois, vinrent faire allégeance à celui que les moqueurs nommaient, avec plus d'à-propos qu'ils ne pouvaient imaginer, le seigneur des Sauvages. Ces tribus amies attendaient du Français qu'il les conduisît dans la guerre que leur faisaient les Iroquois, activés en sous-main par les marchands anglais.
Ainsi, le grand dessein colonial, conçu par un seul homme, commençait à prendre corps. La constitution d'un royaume français d'Amérique, considérée comme utopie et dénoncée comme telle par les ignorants, les médiocres, les cuistres et les jaloux, pouvait devenir une réalité territoriale, stratégique, politique et commerciale. Mais construire des forts, assurer la sécurité de la navigation, mettre en valeur les terres coûtait cher. Il fallait de l'argent, des armes et des cadeaux pour entretenir les autochtones – aiguillonés par les Britanniques dans les bonnes dispositions qu'ils manifestaient à l'égard des Français. L'aide de l'État devenait donc indispensable. M. de La Salle avait dépensé deux cent mille livres pour réussir sa démonstration et ne possédait plus un sol. Louis XIV, devenu, par acte notarié, propriétaire exclusif d'un demi-continent supposé plein de richesses exploitables, se devait de prendre le relais.
Le 23 juillet 1682, Tonty, parvenu le premier à Michilimackinac, avait envoyé une relation du voyage au comte de Frontenac. Il s'agissait de préparer le terrain pour les sollicitations futures.
Hélas ! Des changements radicaux étaient intervenus à Québec. Pendant que les pionniers naviguaient sur le Mississippi ou ses affluents, les basses intrigues des jésuites, les ragots des cercles
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