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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Nouvelle-Orléans. Bienville et ses amis n'en continuèrent pas moins à lui causer des ennuis. Son courrier étant détourné, comme celui d'autres fonctionnaires de la colonie, le conseil de Marine dut menacer d'une amende de cinq cents livres, et même de destitution, ceux qui intercepteraient les lettres de l'ingénieur du roi. On fit alors courir le bruit que Pauger serait bientôt remplacé par Ignace-François Broutin, « un ingénieur volontaire », plus docile et présentement chargé des travaux de la concession de M. Le Blanc, le Petit Désert, située au-delà du pays des Natchez, près du village des Yazou.
    Souffrant de toutes les cabales qui entravaient son action, Pauger fut gagné par le découragement et en fit part à son frère en termes mélancoliques : « Tout ici est en combustion ; chacun crie et fait à son ordinaire et jamais le pays n'a été plus sur le penchant de sa perte totale. […] Mon parti est pris, j'ai été deux fois à l'extrémité, je repasse en France par le premier bateau. »
    Le bâtisseur de La Nouvelle-Orléans ne devait jamais revoir la province d'Artois qui lui était si chère. Le 5 juin 1726, il tomba malade et mourut quatre jours plus tard. Le diagnostic écrit du docteur Prat, médecin botaniste de la faculté de Montpellier, permet aujourd'hui de savoir que l'ingénieur périt « d'une fièvre intermittente devenue fièvre lente ». Ses amis affirmèrent qu'il succomba plutôt miné par le chagrin que lui avaient causé, pendant des années, les attaques dont il avait fait l'objet. Les obstacles fallacieux et les entraves administratives, fabriquées de toutes pièces, qui l'empêchaient de poursuivre son œuvre avaient eu raison de sa santé. Par son testament, cet homme pieux et droit demandait à être enterré dans l'église de La Nouvelle-Orléans, après trois services solennels, et laissait mille livres au curé afin que soient dites trois cents messes basses et un De profundis à sa mémoire, à la fin de chaque office, le lundi. Il faisait don de son habitation de la pointe Saint-Antoine, de ses instruments de mesure et livres de mathématiques à son collaborateur M. Derin. Les capucins recevaient ses livres de piété, son dictionnaire de Moreri étant attribué à son médecin, M. Louis Prat. Et, comme il était sans rancune, Adrien de Pauger, grand seigneur, offrait à Bienville ses fusils et ses pistolets.
    L'épisode procédurier qu'avait connu Adrien de Pauger, un parmi tant d'autres, ajouté à toutes les chamailleries de voisinage, les clabaudages, les médisances, les jeux de l'amour et de l'adultère, les empoignades entre amants et maris trompés, les conflits d'intérêt, les contestations cocasses faisaient enfin de la colonie une terre bien française !
    On relève à cette époque un incident qui eût inspiré Alphonse Daudet. Le curé de La Nouvelle-Orléans, le père Claude, capucin, dut, en mars 1725, résoudre un problème de préséance dont il sut habilement tirer profit. « Voyant l'envie des dames pour le premier banc à l'église » et craignant que ses paroissiennes les plus huppées en viennent au crêpage de chignon, il eut l'idée de mettre aux enchères les places du premier banc. Il obtint ainsi cent cinquante livres dont personne ne sait si elles allèrent au denier du culte ! Encouragé par ce succès, le prêtre simoniaque emplit l'église de bancs qu'il vendit à une pistole quinze liards la place ! Les paroissiens modestes, incapables de payer, furent, à partir de ce jour-là, contraints d'entendre la messe debout. Quand on sait qu'un bon charpentier recevait six cents livres par an, comme un maçon, un serrurier cinq cents, un taillandier deux cent cinquante, les cloutiers et les charbonniers, ouvriers les plus mal payés, cent cinquante ou cent vingt livres, on conçoit que ces chrétiens aient non seulement hésité à s'offrir un banc à l'église, mais se soient trouvés dans l'incapacité de faire enterrer décemment leurs morts, les prêtres réclamant de cinquante à cent livres pour accompagner les défunts au cimetière.
    Les religieux venus en Louisiane n'étaient pas tous de cet acabit. Ceux qui entendaient avec ferveur se consacrer au sacerdoce ne cachaient pas leur indignation en constatant chez les Européens, comme chez les Français originaires du Canada, une désaffection pour les sacrements et les offices. Le fait de se trouver dans un pays neuf, dépourvu de structures sociales,

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