Au Pays Des Bayous
politiques et religieuses rigoureuses, donnait à tous un sentiment de liberté accrue. Chacun usait à son gré, suivant ses ambitions, ses tendances, ses goûts, parfois ses vices, de cette émancipation physique et morale. La fréquentation des Indiens aux mœurs d'une spontanéité primitive, en matière de sexe notamment, n'était pas étrangère à l'évolution des mentalités. Beaucoup de pionniers et de coureurs de bois avaient adopté autrefois la façon de vivre sans contrainte des Indiens. Sédentarisés, ils conservaient ces habitudes et s'en trouvaient bien. L'arrivée, en quelques années, dans la colonie, de mille trois cents femmes, dont cent soixante prostituées, parmi lesquelles quatre-vingt-seize étaient âgées de moins de dix-huit ans, favorisait aussi la débauche et le libertinage. Le plus souvent, Français et Canadiens préféraient prendre pour maîtresse, quelquefois pour épouse, une jeune squaw plutôt qu'une orpheline « à la cassette » vertueuse, mais niaise et laide, ou une fille sortie de la Salpêtrière. Les jeunes Indiennes, généralement belles, « avec une peau comme de la soie », bien faites, douces et lascives, s'attachaient facilement aux Français, moins brutaux et plus prévenants que les hommes de leur race, dont la lubricité bestiale paralysait les plus sensibles. De surcroît, l'avortement, pratique courante, atténuait les scrupules des Blancs qui n'envisageaient pas d'aller jusqu'au mariage interracial, alors autorisé par la loi et l'Église. Les propriétés abortives de certaines plantes ou herbes étaient en effet bien connues des femmes indiennes, dont des dames françaises « embarrassées » sollicitaient parfois les compétences. Les cas de bigamie n'étaient pas rares, surtout dans les postes ou les concessions géographiquement éloignés des curiosités du clergé. Quand M. d'Arensberg, commandant à la côte des Allemands, se voit reprocher par un missionnaire de vivre en concubinage, il invite, sans précautions oratoires, le religieux à se mêler de ses affaires ! Peut-être n'avait-il pas tort, car tous les prêtres du secteur n'auraient pu recevoir le Bon Dieu sans confession !
Si l'on en croit une statistique paroissiale, la moitié seulement des catholiques de La Nouvelle-Orléans faisaient leurs pâques et beaucoup passaient devant l'église Saint-Louis sans y entrer. Les dames de la meilleure société, bavardant sans retenue pendant les offices, se faisaient parfois remarquer pour leur mauvaise tenue. C'est ainsi qu'un dimanche la femme du procureur du roi François Fleuriau et Mme Perry, épouse d'un membre du Conseil supérieur, qui riaient à gorge déployée pendant la messe, s'attirèrent une réprimande publique du célébrant, le père Hyacinthe. Comme les commères poursuivaient sans se gêner leur bavardage, le prêtre interrompit le service divin et leur intima l'ordre de quitter l'église. Les jeunes femmes ayant refusé de s'exécuter, les assistants conspuèrent le curé, et le procureur, en colère, ordonna au père Hyacinthe de dire sa messe sans s'occuper de ce qui se passait dans le sanctuaire ! Lors d'une autre cérémonie, les officiers de la garnison poursuivirent le prêtre autour du transept parce qu'il avait refusé de donner à leurs épouses le banc qui se trouvait face à l'autel ! Il advint même qu'un prêtre refusât d'accorder à M. de Bienville le parrainage d'un nouveau-né « à cause de sa mauvaise conduite avec une femme récemment arrivée de France ».
Le jeu et la consommation exagérée d'alcool étaient aussi considérés comme maux coloniaux. Les distractions étant rares, on jouait beaucoup et l'on buvait sec à La Nouvelle-Orléans. Le 27 avril 1723, le Conseil supérieur avait dû limiter à cent livres le montant des mises au pharaon, mais personne ne respecta la loi. Il suffisait de changer de salon chaque soir pour être tranquille !
Ces considérations et les faits divers locaux fournissaient des sujets de conversation aux commères. Les duels étant fréquents, on en guettait l'issue, souvent fatale pour l'un des duellistes, comme s'il se fût agi d'une rencontre sportive. Les annales du procureur Fleuriau nous apprennent que M. de Pontual, écrivain du Deux-Frères , tua en duel son collègue M. de Laborde, écrivain du Dromadaire ; que deux enseignes de la flûte la Loire , Duclos et Renault, s'affontèrent à l'épée le 8 octobre 1726, pour une raison d'eux seuls
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