Au Pays Des Bayous
Louisiane de posséder aujourd'hui les plus belles allées d'arbres majestueux et tricentenaires 2 .
Une concession disposait au minimum de cinq arpents 3 de rive, ce qui représentait une longueur de trois cent douze mètres environ. Les limites idéales d'une telle concession s'enfonçaient à l'intérieur des terres sur une cinquantaine d'arpents, ce qui conférait au domaine une surface de près de quatre cents acres, soit environ cent hectares. Mais la superficie des plantations variait en fonction de la nature du terrain, de la situation de celui-ci et, aussi, du bon vouloir d'une administration à la fois laxiste et intéressée ! Les concessions de John Law, des frères d'Artaguiette, de Bienville et autres colons privilégiés occupaient de bien plus vastes surfaces.
Au long du Mississippi, parfois assez loin de la ville en construction, les concessionnaires avaient pris peu à peu possession de leur domaine et, sur des centaines de kilomètres, du golfe du Mexique au pays des Illinois, les colons faisaient défricher d'immenses espaces plus ou moins fertiles. Ces premiers exploitants – ancêtres des planteurs qui allaient faire la fortune du Sud, quand régnerait le roi Coton, puis construire ces manoirs à fronton grec et colonnades blanches dont la pérennité entretient les nostalgies sudistes – disposaient non seulement de la main-d'œuvre recrutée en France mais aussi des esclaves noirs que la Compagnie des Indes importait d'Afrique et leur vendait avec bénéfice. Entre l'embouchure du fleuve et La Nouvelle-Orléans, on trouvait, de part et d'autre de la concession de cent mille hectares que Law s'était attribuée en 1719 « pour donner confiance aux investisseurs », celles de Deslau, Carrière, Le Blanc, Caussine, Aubert, Dupuy, Cantillon, Bannès, Coustillas. Au-delà de la ville, en remontant le fleuve, on marchait pendant une journée pour traverser l'immense domaine que s'était réservé M. de Bienville, avant d'atteindre ceux de Dubreuil, Dugué, Lanteaume, Delery, Beaulieu, Massy, Tierry et, au lieu dit les Cannes-Brûlées, les concessions de M. d'Artagnan et les villages des Allemands. Plus haut encore, au confluent de la rivière aux Plaquemines 4 et du Mississippi, s'étendait, sur la rive droite du fleuve, le territoire dévolu aux frères Pâris, banquiers parisiens, alors que, sur la rive opposée, une des concessions de la famille de Diron d'Artaguiette avait substitué le nom de Dironbourg à celui de Baton Rouge, en langue indienne Istrouma 5 , donné autrefois par Iberville au cours de son expédition de 1700. Arrivé là, le voyageur se trouvait déjà à trois cent quatre-vingts kilomètres du golfe du Mexique et à deux cent cinquante kilomètres de La Nouvelle-Orléans. Plus haut encore s'était installé M. De Mézières et, à Pointe-Coupée, le marquis de Ternant faisait abattre des cyprès pour construire un manoir de bois. Terminée en 1732, cette superbe maison, connue depuis 1840 sous le nom de plantation Parlange, toujours habitée par les descendants du planteur, apparaît comme le modèle le plus achevé et intact des belles demeures de l'ère coloniale française. Au-delà du pays des Tunica et des Natchez, jusqu'au pays des Arkansa et des Illinois, d'autres domaines, parfois séparés les uns des autres par des centaines de kilomètres, attestaient de la présence française. La déconfiture de Law ne décourageait plus d'investir en Louisiane.
Les champs donnaient de l'indigo, que l'on vendait au roi de Prusse pour teindre les uniformes de ses soldats ; du tabac, qui, récolté au pays des Yazou et des Natchez, valait largement celui de Virginie ou de Saint-Domingue ; de la canne à sucre, dont on tirait de la mélasse ; des patates douces, du maïs et d'autres céréales. Les arbres fruitiers, sauvages mais puissants une fois dépêtrés de la jungle qui les assiégeait et convenablement taillés, offraient pêches, cerises, kakis, et même des olives identiques à celles de Provence. La vigne sauvage, elle aussi, permettait, d'après Jean-Baptiste Bénard de La Harpe 6 , de faire du bon vin et le houblon donnait une petite bière agréable au palais.
Une nouvelle ressource était apparue, révélée par Alexandre Vielle, un médecin de la concession Deucher-Coëtlogon qui avait adressé, en 1722, un mémoire à la Compagnie des Indes pour attirer l'attention sur un arbuste, le cirier, capable de produire de la cire végétale dont on pouvait
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