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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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connue. Renault « fut tué sur place ». Duclos ayant pris la fuite, on fit son procès par contumace et les deux duellistes, le mort et le fuyard, « furent pendus en effigie par arrêt du 27 avril 1727 ». Il en fut de même pour le sergent Preuille qui avait expédié ad patres , le 3 juillet 1727, le sergent Forestier, dit Beaulieu. Le bon peuple de la ville se réjouissait toujours quand on donnait la « calle 8  » à un voleur, s'inquiétait quand les soldats-ouvriers suisses refusaient de quitter Biloxi pour La Nouvelle-Orléans, riait quand Bienville enlevait une belle Noire, propriété de la Compagnie et maîtresse du bourreau local, auquel il donnait en échange une « négritte » de douze ans !
    Mais ces petits événements quotidiens, que nos psychologues modernes nommeraient phénomènes de société, n'étaient rien par rapport au sentiment de curiosité mêlé de crainte que suscita, au printemps 1723, l'arrivée d'un fonctionnaire grave et chenu, nanti par la Compagnie des Indes de toutes les prérogatives d'un inquisiteur. Il s'agissait de Jacques de La Chaise, premier commis de M. Jacques de Lestobec, nouveau directeur de la Compagnie des Indes à Lorient, délégué en Louisiane avec les pouvoirs d'un commissaire ordonnateur extraordinaire pour examiner les comptes de la colonie. Cette perspective ne pouvait réjouir personne, ni Bienville, ni le garde-magasin Delorme, ni la plupart des membres du Conseil supérieur, habitués à faire leurs petites affaires entre eux ! Pour comble d'infortune, cet inspecteur était le neveu du confesseur de feu Louis XIV et jouissait, à ce titre, à Versailles comme à Paris, d'une foule d'appuis indéfectibles. Il passait aussi pour avoir la confiance de l'abbé Gilles Raguet, sulpicien namurois, ancien professeur de géographie du roi, chargé depuis 1724 de conduire la nouvelle politique de la Compagnie, gestionnaire attitré de la Louisiane. Âgé de soixante ans, La Chaise passait de surcroît pour un comptable malin et d'une redoutable intégrité. Bien qu'il ait vu mourir, au cours de l'épidémie de 1723, le commissaire du roi, M. Sauvoy, qui devait l'assister dans ses expertises, il proclamait haut et fort qu'il n'aurait besoin de personne pour extirper de la colonie la concussion, les malversations, les pillages et les mœurs libertines dans lesquelles on semblait se complaire. Il avait donné libre cours à sa mauvaise humeur dès son arrivée, le 8 avril 1723, d'abord parce que son bateau avait été poursuivi toute une journée par un forban de l'île de Cuba, ensuite parce qu'il avait découvert que sa mission, réputée secrète, était connue de toute la colonie. Le Conseil supérieur, siège des abus de pouvoir et foyer de corruption, se montra tout sucre tout miel avec le nouveau venu. Les conseillers avaient fourbi leurs armes défensives et mis leurs dossiers à l'abri des curiosités en connaissance de risque.
    Bienville, qui n'était pas tombé de la dernière averse tropicale, avait été informé des intentions de l'envoyé spécial par un matelot qui surveillait les arrivées au port de Biloxi et cela malgré les précautions inutilement prises par La Chaise. Ce dernier, usant de méthodes de basse police, avait fait intercepter le courrier et saisir les papiers des passagers du bateau afin qu'ils ne soient pas distribués avant son installation à La Nouvelle-Orléans. Ces documents, placés dans des sacs cachetés en présence des intéressés, n'avaient été rendus à leurs propriétaires qu'une semaine après l'arrivée en Louisiane. De telles façons avaient de quoi déplaire et la réputation de M. de La Chaise avait été aussitôt faite. Pour établir d'emblée son autorité, le nouveau commissaire ordonnateur s'était rendu accompagné de Bienville chez le garde-magasin Delorme et avait signifié à ce dernier une révocation sans appel. On reprochait à ce gestionnaire de s'être trop vite enrichi, d'avoir joué gros jeu avec des Espagnols, perdu dix mille piastres en une séance, et payé ses dettes avec des marchandises appartenant à la Compagnie. Delorme, alerté comme Bienville et peut-être par ce dernier, avait caché son magot et expurgé ses comptes. Ayant néanmoins apposé les scellés sur les livres comptables du révoqué, La Chaise s'était mis à compter les fusils, les outils et même les clous entreposés dans le magasin et les avait trouvés affreusement mordus par la rouille. Il

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