Au Pays Des Bayous
en 1735 – sont certainement inexacts et bien en dessous de la réalité démographique de l'immense Louisiane. Bon nombre de négociants, de coureurs de bois, de traitants, de déserteurs, d'aventuriers établis dans les tribus indiennes échappaient à tout contrôle statistique. Il suffit de savoir qu'à la même époque on compte plus de 800 000 habitants dans les treize colonies anglaises d'Amérique, pour apprécier la dangereuse modicité du peuplement français.
En ce qui concerne le cheptel, les chiffres sont peut-être plus fiables : 9 542 bovins, 174 chevaux, 844 chèvres, 568 moutons, 2 468 porcs.
Les guerres des Chicassa
Les Indiens avaient une conception quasi sportive de la guerre et ne respectaient que les vainqueurs sachant imposer fermement leur loi. À leurs yeux, indulgence passait pour faiblesse, tolérance pour mièvrerie, indécision pour couardise. Ils évaluaient la valeur d'un guerrier autant à sa capacité de tuer sans pitié qu'à celle de mourir sans plainte. Leur estime allait aux combattants plus qu'aux diplomates. Bienville, Franco-Canadien élevé entre les Huron et leurs ennemis les Iroquois, savait cela et se montrait d'une extrême rigueur quand la situation le commandait. Or, en 1735, il devint évident que les atermoiements de Périer n'avaient inspiré aux nations indiennes que mépris pour les Français. Le gouverneur constatait que la cohabitation risquait de devenir impossible si les Indiens, de plus en plus courtisés par les Britanniques, formulaient des exigences irrecevables. La régie royale serait-elle moins efficace que la Compagnie des Indes ?
Dans une lettre à Maurepas du 26 juillet 1733, Bienville avait déjà fait part avec franchise au secrétaire d'État de la nécessité de réagir : « Il eût été bon d'envoyer un corps de Français un peu fort et d'aller attaquer les Chicassa pour faire enfin une action d'éclat, chose indispensable pour relever le moral de la colonie, mais celle-ci est trop dénuée de forces et trop pauvre, et il ne faut pas nous compromettre une fois encore. On a vécu l'an dernier pendant plus de trois mois de grains de roseaux et je suis forcé de rester dans l'inaction quelque douleur que j'en aie. »
Les rapports adressés à Bienville révélaient qu'une sourde agitation couvait dans les tribus qui, jusque-là, s'étaient montrées amicales. On savait les Chicassa prêts à la révolte, mais le commandant du poste des Illinois commençait aussi à douter de l'attitude de cette nation en cas de conflit et pensait que les Ouabache suivraient les Illinois. Les Osage avaient tué onze chasseurs au pays des Arkansa. Le commandant du fort des Natchitoch et ses hommes n'avaient pas osé sortir pendant six mois, de crainte d'être attaqués par les tribus qui s'étaient jusque-là montrées pacifiques.
Quand, au mois de février 1736, on apprit à La Nouvelle-Orléans que les Chicassa avaient construit cinq fortins, entouré leurs villages de rangées de pieux et qu'une troupe de cent quatre-vingts Natchez s'était discrètement reconstituée, Bienville comprit qu'il était temps de passer à l'action. Il réunit à Mobile les forces dont il put disposer et donna l'ordre à d'Artaguiette, commandant du poste des Illinois, de descendre le Mississippi jusqu'à l'ancien fort Prudhomme, tandis que lui-même remonterait le fleuve avec ses hommes, à bord de grands canots appelés voitures. Le capitaine d'Artaguiette, neveu de l'ancien commissaire ordonnateur, réussit à rassembler quatre cent six combattants : quarante et un soldats de la troupe régulière, quatre-vingt-dix-neuf volontaires et deux cent soixante-six Iroquois, Arkansa, Illinois et Miami. Pour sa part, Bienville avaient mobilisé cinq cent quarante-quatre Blancs et quarante-cinq Noirs commandés par des « nègres libres ». Quand les deux armées auraient fait leur jonction, on encerclerait les villages fortifiés par les Chicassa et l'assaut serait donné.
Commencée le 4 mars, l'expédition s'acheva le 29 mai. Ce fut un désastre. Le premier revers que Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville essuya face aux Indiens. La troupe commandée par d'Araguiette, précise au rendez-vous, fut contrainte d'intervenir avant l'arrivée de celle du gouverneur. Le détachement de Bienville avait pris, en effet, un retard considérable à cause des fabricants de voitures qui auraient dû livrer les barques le 15 janvier et ne les mirent que fin février à la
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