Au Pays Des Bayous
désormais des opérations d'envergure, ne laissèrent jamais passer une occasion de s'en prendre aux chasseurs, aux colons isolés et aux esclaves noirs des plantations françaises. Cette campagne, conclue sans combats ni panache, avait tout de même coûté plus d'un million de livres. À Versailles, l'annonce de cette victoire artificielle, qui ne mettait pas la colonie à l'abri des révoltes indiennes et ne renforçait nullement le prestige des armées de Sa Majesté dans le Nouveau Monde, fit faire la moue au roi et, par ricochet, au ministre. Maurepas prit prétexte d'une autorisation donnée par Bienville à deux familles de Louisiane d'aller s'installer à Saint-Domingue pour rappeler au gouverneur : « Sa Majesté vous défend de permettre à aucun habitant de quitter la colonie sans avoir reçu des ordres pour cela. C'est à quoi vous aurez pour agréable de vous conformer. »
Le ton déplaisant était celui du blâme adressé à un officier subalterne. Bienville prit sa plume et envoya sa démission au ministre de la Marine et des Colonies : « Si le succès avait toujours répondu à mon application aux affaires de ce gouvernement et à mon zèle pour le service du Roi, je lui aurais consacré le reste de mes jours ; mais une espèce de fatalité, attachée depuis quelque temps à traverser la plupart de mes projets les mieux concertés, m'a souvent fait perdre le fruit de mes travaux et, peut-être, une partie de la confiance de Votre Grandeur. Je n'ai donc pas cru devoir me raidir plus longtemps contre ma mauvaise fortune. Je souhaite que l'officier qui sera choisi pour me remplacer soit plus heureux que moi. » Cette démission, acceptée sans commentaire, mit fin à la carrière du gouverneur.
Le 13 mai 1743, la Charente mouilla en face de la place d'Armes, à La Nouvelle-Orléans, et Bienville accueillit sur le quai son successeur, le marquis Pierre Rigaud de Vaudreuil, franco-canadien, fils d'un ancien gouverneur du Canada. L'élégant marquis, parfait gentilhomme, était des plus représentatif. Né à Québec le 22 novembre 1698, il avait commencé sa carrière comme garde-marine 3 . Nommé lieutenant de vaisseau en 1729, il avait cessé de naviguer en 1732, quand le roi lui avait confié le gouvernement de Trois-Rivières. Le poste de gouverneur de la Louisiane, qu'il venait d'obtenir sans l'avoir sollicité, ne constituait à ses yeux qu'une étape vers le gouvernement général du Canada, qu'il aurait voulu héréditaire et qui représentait toutes ses ambitions. Quelques semaines après son arrivée, il acheta les biens que M. de Bienville accepta de lui vendre et organisa sa maison. Le 17 août, Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, ayant transmis ses pouvoirs et informé le marquis de tout ce qu'il était bon de savoir sur la colonie et qui ne figurait peut-être pas dans les rapports officiels, fit ses adieux. Accompagné des regrets unanimes de la population, il embarqua pour la France. Il était âgé de soixante-trois ans et quittait la Louisiane, où il avait passé les deux tiers de sa vie, pour n'y plus revenir.
Un marquis aux commandes
M. de Vaudreuil apparut tout de suite comme étant d'un tempérament bien différent de son prédécesseur. Chez Bienville, qui ne manquait pas de manières, il arrivait que le coureur de bois canadien resurgisse à l'occasion d'une colère ou d'une fête ou que le petit-fils du cabaretier normand réapparaisse quand on parlait gros sous. Côté paternel, la noblesse du marquis n'était pas récente et coloniale comme celle des Le Moyne mais gasconne et ancienne. Cependant, c'est à sa mère, née Joybert, roturière française, émigrée au Canada où elle avait épousé l'administrateur Philippe de Vaudreuil, qu'il devait, comme ses trois frères, une ascension rapide. Cette Canadienne avait passé plus de temps à Versailles et à Marly, à intriguer pour le bien de la famille, qu'au côté de son mari à Québec. Ce dernier, mort en 1725, avait terminé sa carrière comme gouverneur général du Canada. En débarquant en Louisiane, Pierre, héritier du marquisat, regretta que sa mère, décédée en 1740, ne l'ait pas vu accéder au gouvernement d'une aussi vaste colonie.
Si Bienville avait l'âme d'un proconsul, Vaudreuil en eut le train. Les frères Le Moyne se faisaient portraiturer en armure, les Vaudreuil posaient en habit de cour. Un historien américain a écrit que ce fut la marquise de Vaudreuil qui créa la High Society
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