Au Pays Des Bayous
une chaude considération pour les sujets de George II. Convoqué par Bienville à Mobile au cours de l'automne 1734, il fut vertement tancé pour sa duplicité et son ingratitude devant tous les chefs de village qui, convenablement rétribués, approuvèrent le gouverneur. Soulier-Rouge, bien informé de la pénurie ambiante de la colonie, dit qu'il accepterait de reprendre la guerre contre les Chicassa au côté des Français si ces derniers cessaient d'acheter eux-mêmes aux Anglais des marchandises qu'ils revendaient avec usure aux Indiens. Ce qui, hélas était vrai !
En attendant qu'arrivent de France les renforts militaires et les canons demandés par Bienville, les cadeaux, indispensables pour traiter avec les Indiens, et les produits dont la population manquait, le gouverneur s'employa à résoudre les difficultés financières et économiques qui entravaient le développement de la colonie. Depuis que la Compagnie des Indes n'était plus intéressée directement dans les affaires louisianaises, les bateaux se faisaient rares dans le port de La Nouvelle-Orléans et les producteurs de tabac commençaient à regretter l'absence d'acheteurs et de transporteurs. À Paris, les gérants de la ferme des Tabacs s'approvisionnaient plus souvent, et à meilleur compte, en Virginie qu'en Louisiane, ce qui coûtait deux millions de livres chaque année aux finances publiques et réduisait sensiblement les ressources des colons français. Maurepas, en digne successeur de son père, Jérôme de Pontchartrain, avait la fibre coloniale et le sens des affaires. Bienville obtint aisément de lui des primes qui assurèrent provisoirement aux exploitants les mêmes conditions qu'au temps du monopole triomphant de la Compagnie des Indes. Il réussit également à faire réduire, des deux cinquièmes, le montant des dettes contractées par les Louisianais auprès de l'entreprise commerciale qui avait été, pendant dix ans, leur fournisseur exclusif et à quels prix ! Comme la monnaie de papier fabriquée par la société n'avait plus cours depuis la rétrocession de ses privilèges à la Couronne de France, le pays manquait singulièrement de numéraire. En instituant des espèces de remplacement et en obtenant du secrétaire d'État cent cinquante mille livres par an de monnaie de carte, Bienville atténua les revendications des habitants, bien qu'il ne fît que remplacer un artifice monétaire par un autre.
La monnaie de carte avait été créée au Canada, en 1688, afin de remédier, déjà, à la pénurie de numéraire. Fabriquée à partir de cartes à jouer coupées en quatre et timbrées aux armes de France, d'où son nom, elle était reçue comme de véritables billets. En 1717, la monnaie de carte, retirée de la circulation par l'État, avait été reprise par ce dernier à la moitié de sa valeur. Si, dans un premier temps, le nouveau numéraire, accordé à Bienville par ordonnance de 1734, parut satisfaire les Louisianais, les militaires manifestèrent bientôt leur dépit d'être payés avec une monnaie de carte qui, se dépréciant au fil des saisons, menaçait de n'être plus que monnaie de singe !
Les ursulines, dont le roi s'était engagé à payer l'hébergement depuis que la Compagnie des Indes ne l'assumait plus, avaient trois années de loyer de retard et la veuve de M. Kolly, tué lors de la révolte des Natchez, réclamait avec insistance les quatre mille cinq cents livres qui lui étaient dues. Au moment de s'installer, avec trente orphelins, dans leur beau couvent enfin terminé, les religieuses avaient dû emprunter trois mille livres afin de remplacer leur ancien mobilier « vermoulu et rempli de vermine », qu'on avait brûlé. En juin 1734, elles emménagèrent dans les nouveaux bâtiments, orgueil de la cité. « Elles y furent conduites en cérémonie par le clergé, le Conseil supérieur, et toute la ville assista à cette procession. On y porta le saint sacrement ; il y eut prédication et l'on chanta le Te Deum dans la nouvelle chapelle », écrivit Bienville au secrétaire d'État. Même si le carrelage de la salle de l'hôpital n'était pas encore sec, on était assuré de pouvoir accueillir les malades à la fin du mois. Cette institution était indispensable car la situation sanitaire de la ville, déjà médiocre, menaçait de devenir catastrophique. Deux ouragans successifs ayant anéanti les récoltes, le spectre de la disette se profilait à l'horizon et la variole,
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