Au Pays Des Bayous
en Louisiane et il semble que ce soit vrai. Les habitants de La Nouvelle-Orléans virent, pour la première fois, un carrosse tiré par quatre chevaux dans les rues de la ville et, bientôt, toutes les épouses de notable exigèrent de leur mari qu'il fît venir de France des berlines et des chaises. Tandis que sa femme présidait des réceptions et donnait le ton en matière de mode et de danse, M. de Vaudreuil fit l'inventaire de sa juridiction. Ce qu'il trouva ne réjouit guère ce gentilhomme, administrateur expérimenté et adroit. Rejetant la mesquinerie et la lésine, lot des comptables ignorants et à courte vue, qui croient augmenter les recettes en biffant les dépenses, le nouveau gouverneur vit tout de suite la nécessité d'investir pour assurer la survie de l'entreprise Louisiane. La Nouvelle-Orléans n'était pas toute la colonie et la situation économique, comme la sécurité du pays, exigeait qu'on s'occupât attentivement des affaires, surtout depuis que Louis XV avait, le 15 mars 1744, déclaré la guerre à l'Angleterre et à l'Autriche, pendant que les Canadiens échouaient devant Annapolis après avoir envahi la Nouvelle-Écosse.
Dans un long mémoire daté de 1746, le marquis et le nouvel ordonnateur, M. Demezy Le Normand, ont brossé conjointement de la colonie un tableau que l'on peut croire sincère. Ils commencent par reconnaître l'importance du territoire. « De toutes celles [les colonies] que la France possède, il n'en est peut-être point qui sont plus intéressantes, par la situation et par la nature, que la Louisiane. Sa situation, parce qu'elle peut et doit servir de barrière entre les colonies anglaises et les possessions espagnoles de ce continent de l'Amérique ; par sa nature si l'on considère son étendue, ses rivières, la bonté du climat et la fertilité des terres. Cette colonie a été jusque-là dans un état languissant. On ne peut guère entreprendre de la tirer de cette langueur que lorsque la paix sera rétablie en Europe. La tranquillité est nécessaire à l'exécution des projets que l'on pourra former pour la rendre florissante et pour en tirer tous les avantages qu'elle peut produire. » Vient ensuite l'état des lieux. Tous les établissements français, sauf ceux du littoral, sont situés sur la Mobile, le Mississippi et « les rivières qui s'y rendent ».
La Balise, « située à environ une demi-lieue en avant de la barre, côté pleine mer », dans les bouches du Mississippi, possède un fort dont le rempart est revêtu de brique, une batterie de canons qui interdit l'entrée du fleuve, quelques bâtiments, une garnison de cinquante hommes. On y relègue les malfaiteurs qui travaillent à faire des briques avec une trentaine de Noirs « appartenant au roi ». On mesure à la barre de quatorze à vingt-deux pieds d'eau [de quatre mètres soixante à sept mètres vingt-cinq environ] et un profond chenal permet aux plus gros bateaux de remonter le Mississippi. « De la Balise à La Nouvelle-Orléans, le fleuve fait beaucoup de tours et de détours et l'on compte par eau trente lieues [environ cent vingt kilomètres] que les navires mettent quelquefois un mois ou six semaines à remonter. Quelquefois aussi, ils remontent en sept ou huit jours et c'est le temps que les bateaux y emploient le plus communément. »
Sur la rive gauche, en remontant le fleuve, on trouve : à dix lieues de La Nouvelle-Orléans, un établissement appelé Les Allemands. On compte cent habitants, allemands pour la plupart, et « deux cents nègres », qui cultivent le riz, des légumes, élèvent et engraissent des bestiaux. À quarante lieues plus au nord, l'établissement de Pointe-Coupée est un des plus florissants. Deux cents habitants, faisant travailler quatre cents esclaves noirs, récoltent un excellent tabac, qui vaut trois louis la livre ; ils fournissent céréales, légumes et fruits à toute la région. Le marquis de Ternant a été le premier à y construire une belle demeure, flanquée de deux pigeonniers. À cinq lieues au-dessus de Pointe-Coupée se trouve le confluent du Mississippi et de la Rouge 4 . Si l'on remonte sur quatre-vingt-dix lieues cette grosse rivière, qui doit son nom à la couleur du limon charrié par ses eaux, on arrive au poste des Natchitoch. Soixante habitants, deux cents esclaves et cinquante soldats, dont la présence est justifiée par la proximité – sept lieues – d'un poste espagnol dépendant du
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