Au Pays Des Bayous
les deux nations indiennes l'une contre l'autre et réduire à l'impuissance les mercenaires des Anglais.
En 1747, Soulier-Rouge commit l'erreur de tuer un cadet, le chevalier de Verbois, et deux traitants français, en visite chez les Chacta. En scalpant sans gloire ces voyageurs isolés, le chef indien fournit au marquis l'occasion d'intervenir. Les Chacta, sur le territoire desquels les crimes avaient été commis, furent fermement invités à faire justice. Bien qu'une partie des guerriers de cette nation ait choisi le camp anglais, les chefs de tribu se réunirent à Tombekbé et décidèrent de donner satisfaction aux Français. Il fallut attendre un an pour qu'une action fût entreprise, mais, en juin 1748, des Chacta fidèles à la France apportèrent au gouverneur de la Louisiane la tête de Soulier-Rouge. Ainsi disparut, décapité par les siens, l'un des plus rusés et des plus sanguinaires chefs indiens de l'histoire coloniale américaine. L'ennemi des Français était tombé dans une embuscade alors qu'il regagnait son village, à la tête d'un convoi de marchandises anglaises. La mort du chef suprême des Chicassa ne mit pas fin aux menées britanniques, mais les zizanies qu'elle suscita entre caciques candidats à la succession conduisirent à une aggravation des dissensions tribales, ce qui occupa les guerriers et détourna les chefs de la rivalité franco-anglaise, très provisoirement atténuée par le traité signé en octobre 1748, à Aix-la-Chapelle, pour mettre fin à la guerre de Succession d'Autriche. Mais les Chacta n'avaient pas besoin de justification, autre que le plaisir de la rapine pour s'en prendre de temps à autre aux colons. En 1750, un groupe de Chacta dissidents ayant attaqué des colons allemands et tué le maître à danser le plus populaire de La Nouvelle-Orléans, plus quelques Noirs, le marquis de Vaudreuil envoya aussitôt un officier demander des comptes aux chefs indiens. Toutes les dames de la ville pleuraient Baby, le gracieux esthète qui leur enseignait le menuet et la pavane sans jamais un geste équivoque ou audacieux envers une femme. On eût peut-être oublié le meurtre des esclaves, mais celui du chorégraphe parut impardonnable. Même un Indien pouvait comprendre cela ! Les Chacta, qui recrutaient leurs maîtres à danser chez les hermaphrodites 6 , caste très appréciée dans les tribus, comprirent à demi-mot. Ils s'apitoyèrent, ainsi qu'il convenait, et exécutèrent immédiatement et scrupuleusement la mission exigée par les Français. Les treize assaillants des Allemands eurent la tête fracassée et tous les autres vinrent à résipiscence et signèrent un traité draconien que Bienville n'eût pas désapprouvé. Ce document prévoyait que tout chef ou guerrier des Chacta qui tremperait les mains dans le sang d'un Français serait tué sans rémission, de même que tout chef ou guerrier qui introduirait un Anglais dans son village serait puni de mort avec l'Anglais « sans que qui que ce soit de la nation puisse en prendre vengeance ».
Si la situation sur le front indien s'était améliorée, l'économie de la Louisiane demeurait fragile. Elle devint encore plus difficile quand les colons français et anglais s'affrontèrent sur les rives de l'Ohio et que de nouveaux signes de désaccord apparurent entre les lointains gouvernements de France et d'Angleterre. Quand, à la fin de l'année 1752, M. de Vaudreuil apprit qu'il était nommé gouverneur général du Canada, il dit ses regrets d'avoir à quitter la Louisiane où il s'était acquis, par de réels mérites, une politique intelligente, une indulgence circonstanciée, un bon discernement et une parfaite courtoisie, la réputation d'un administrateur brillant et efficace. Les Louisianais, qui aiment à donner des sobriquets aux gens, l'appelaient le Grand Marquis, ce qui ne lui déplaisait pas.
Avant d'embarquer pour Montréal, M. de Vaudreuil, si l'on en croit la chronique mondaine de l'époque, eut le plaisir d'offrir à ses amis, dans le bel hôtel mis à la disposition du gouverneur, la première pièce de théâtre représentée en Louisiane. Inspirée par l'ambiance coloniale, écrite par un Louisianais, M. Le Blanc de Villeneuve, et jouée par des amateurs, cette œuvre connut un franc succès. Seul le titre en est parvenu jusqu'à nous : le Père indien .
1 Ou Fox (renard).
2 Cherokee.
3 Nom que portaient les jeunes gentilshommes que l'on entretenait dans les ports pour
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