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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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le commerce et la notion d'échange par celle de profit, les Français, après les Espagnols et les Anglais, non seulement enlevèrent leur terre aux Amérindiens mais dévoyèrent leurs instincts, avilirent leur cœur, infectèrent leur âme.
    Le marquis de Vaudreuil aimait à marivauder dans les salons, à parader sur la place d'Armes, à palper les commissions que son maître d'hôtel lui consentait sur le commerce occulte des remèdes, tissus et marchandises diverses directement prélevés dans les magasins du roi avec la complicité active de la marquise. Le gouverneur suivait les progrès de la construction des belles maisons qui s'élevaient au long des rues de La Nouvelle-Orléans, près du bayou Saint-Jean et même en dehors de l'enceinte conçue autrefois par Adrien de Pauger pour protéger la ville. Il admirait, et peut-être enviait, la grande demeure, à deux niveaux et galerie périptère, que l'architecte Alexandre de Batz achevait pour le chevalier de Pradel, sur la rive droite du fleuve, face à la ville. En nommant cette somptueuse résidence Montplaisir, une sorte de profession de foi d'un propriétaire enrichi par les intérêts qu'il avait dans les postes, le gendre de La Chaise avait fait sourire dans les salons. Personne, sauf lui, n'ignorait les relations que sa femme, la belle Alexandrine, entretenait avec un officier de la garnison, devenu chevalier servant depuis que le mari, souffrant de maux divers, évitait bals et réceptions. Dans l'existence coloniale, M. de Pradel et M. de Vaudreuil ne constituaient pas des exceptions. Ils n'étaient ni plus retors, ni plus trompés, ni plus corrompus que d'autres. Tous ceux qui pouvaient avoir accès aux magasins du roi, aux fournitures, aux poudres, aux farines, aux produits importés, et même aux prises effectuées par des corsaires patentés sur des vaisseaux dont on ne cherchait pas à connaître le pavillon, trafiquaient, chapardaient, détournaient, rançonnaient, prenaient pourcentage, pour améliorer soldes et traitements, afin que les épouses puissent être élégantes, tenir leur rang et passer d'agréables cinq à sept avec des célibataires en manque de conversation et de tendresse. Certains sigisbées en uniforme ne dédaignaient pas de recevoir des cadeaux des dames, que le climat rendait tantôt langoureuses et sentimentales, tantôt nerveuses et frénétiques. On fit à Mme de Pradel la réputation d'être spontanément inflammable et on lui attribua la spécialité d'offrir des pendules !
    Il advint en Louisiane qu'un commissaire ordonnateur probe et téméraire se risquât à faire son devoir, qui était de veiller aux intérêts du roi, au bon emploi des cadeaux et des crédits, à la sincérité des comptes de la colonie, au respect des règles commerciales et administratives. De telles initiatives ne pouvaient que causer des déboires, d'où ces conflits, déjà rapportés, entre commissaire et gouverneur. Cela se terminait toujours, pour l'un des intéressés, suivant les appuis dont il bénéficiait à Versailles et à Paris, par le rappel circonstancié en métropole. De 1731 à 1752, on vit passer en Louisiane trois commissaires ordonnateurs : Edmé Gratien Salmon, Sébastien François-Ange Demézy Le Normand et Michel de La Rouvillière. Salmon, qui servit sous Bienville, ne fut pas contesté ; les autres surent très vite s'adapter aux mœurs locales et tirèrent quelques bénéfices de leur position, notamment en vendant les marchandises et cadeaux du roi destinés aux Indiens à des négociants à qui l'administration devait racheter ces produits quand leur raréfaction avait fait monter les prix et que les autochtones s'impatientaient !
    Si le marquis de Vaudreuil se montrait d'autant plus tolérant avec les trafiquants civils et militaires qu'il participait parfois à leur affaires, il savait aussi se conduire en seigneur et en soldat, avec courage et fermeté, sans crainte ni faiblesse. Il savait que le danger pour la colonie ne pouvait venir que des Anglais, surtout depuis que Louis XV avait déclaré la guerre à George II et que les colons britanniques souhaitaient l'ouverture d'un front contre la France en Amérique. Or, les Chicassa et une partie des Chacta, soi-disant amis des Français, suivaient les consignes de Soulier-Rouge, comblé de présents et d'honneurs par les Anglais. Vaudreuil, décidé à limiter les risques d'un affrontement général, guettait le moment où l'on pourrait dresser

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