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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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un salon de jeu supplémentaire !
    Kerlérec, qui ne disposait d'aucun moyen de contrôle sur les dépenses, tenta aussi de combattre la concussion et le trafic d'influence. Il releva de son commandement, à Pointe-Coupée, Jean-Joseph Delfau de Pontalba qui, pour couvrir des opérations foncières douteuses, disait à qui voulait l'entendre qu'il avait donné un pot-de-vin de douze mille livres au gouverneur. Bien qu'étant également au fait de malversations qui rapportaient, chaque mois, des milliers de livres au trésorier Jean-Baptiste Destréhan, connu sous le sobriquet éloquent de « petit ordonnateur » et des manigances du capitaine Pierre-Henri d'Erneville, plus occupé d'affaires que de service, le gouverneur dut longtemps patienter avant de pouvoir intervenir. Il se heurtait à forte partie, à une coterie intrigante et affairiste qui s'était assuré des appuis, sans doute intéressés, à la cour.
    Les capucins et les jésuites avaient bien accueilli le Breton, dont la piété paraissait plus évidente que celle de M. de Vaudreuil. Comme chaque fois qu'il y avait eu changement de titulaire à la tête de la colonie, chaque ordre tenta de se faire un allié exclusif du gouverneur. Les fils de saint François et de saint Ignace de Loyola rivalisèrent d'amabilité et d'attention, tout en guettant la dimension des sourires que le gouverneur faisait aux uns et aux autres. On attendit de voir si Mme de Kerlérec choisirait son confesseur chez les franciscains ou parmi les pères de la Compagnie de Jésus ! Il semble qu'elle dut opter pour un de ces derniers, car on reprochera plus tard à son mari d'avoir été l'homme des jésuites, ce qui ne sera pas démontré. En attendant, jésuites et capucins continuaient de se dénigrer mutuellement. Ils fomentaient des intrigues, suscitaient des cabales, mobilisaient chacun ses pénitentes pour propager dans les salons où l'on ragote tout ce qui pouvait nuire à l'ordre concurrent. Les capucins protestaient parce que les jésuites se réservaient l'exclusivité du baptême des enfants noirs dans leur chapelle et qu'ils monopolisaient la fonction d'aumônier des hôpitaux. Le père Michel Beaudoin, jésuite nommé vicaire général de la colonie, répliquait en refusant de montrer aux capucins sa lettre d'accréditation. Le père Georges de Fouquemont, ancien provincial de Champagne devenu supérieur des capucins de La Nouvelle-Orléans, prenait passage pour la France afin d'aller demander justice au roi ! M. de Kerlérec sut, avec sagesse et loyauté, se tenir en dehors de ces rivalités de chapelle. Il appréciait comme une consolation l'attitude des émigrés lorrains qui venaient d'arriver dans la colonie et s'étaient installés aux Cannes-Brûlées, au voisinage immédiat des Allemands avec qui ils entretenaient de cordiales relations. La Louisiane disposait, avec ces gens de l'Est, de cultivateurs sérieux et travailleurs.
    En plus de l'obligation de faire face, chaque jour, aux manœuvres futiles mais agaçantes qui étaient une des plaies de la vie coloniale, M. de Kerlérec assumait ses propres soucis financiers. Dépourvu de fortune, le marin, qui se refusait aux pratiques spéculatives si courantes dans la colonie, ne pouvait que s'endetter pour tenir son rang. Il le faisait en espérant des jours meilleurs. Cette intégrité ne plaisait guère à ceux qui eussent préféré un chef de gouvernement corruptible donc compromis, voire complice.
    Pour toutes ces raisons et d'autres plus obscures, le commissaire ordonnateur et le gouverneur reprirent bientôt le scénario connu des conflits de conception, des oppositions souterraines puis des querelles ouvertes, qui ne pouvait manquer de se répéter dans le système bicéphale instauré en Louisiane.

    Veillée d'armes
    Le baron de Kerlérec avait eu l'heur de plaire aux Indiens. Sa parfaite courtoisie, son assurance de marin valeureux, la clarté de son langage et son respect des accords passés par ses prédécesseurs lui avaient immédiatement attiré l'estime des caciques. Ces derniers, qui jugeaient trop souvent l'amitié des princes d'Europe à la quantité de cadeaux offerts, n'avaient pas manqué de faire observer à Kerlérec que, non seulement, on avait oublié de livrer les présents promis mais que les magasins français, où les squaws se seraient volontiers approvisionnées, étaient vides ou n'offraient que des marchandises à des prix inabordables pour une bourse indienne. Ils

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