Au Pays Des Bayous
Washington avait ainsi perdu sa première bataille. Il en gagnerait d'autres, et de plus décisives, car il aimait se battre, ainsi qu'il l'avait écrit quelques jours plus tard à son frère : « J'ai entendu siffler les balles et crois-m'en, il y a quelque chose de délicieux dans ce bruit 4 . »
Toutefois, le futur premier président des États-Unis devait encore faire, avec les Français, une seconde expérience douloureuse. Aide de camp du général anglais Braddock, que George II avait envoyé en Amérique avec deux régiments pour prendre le fort Duquesne, Washington avait assisté, le 9 juillet 1755, à la déroute des « tuniques rouges » et vu tomber autour de lui soixante-trois des quatre-vingt-neuf officiers de son régiment. Ce jour-là, il avait constaté que les balles au bruit « délicieux » tuaient les hommes !
Avant et pendant ces événements, d'autres postes français avaient été construits ou consolidés pour fermer l'accès des défilés de l'ouest. Le fort Niagara verrouillait la route des Grands Lacs et, à Crown Point, sur le fleuve Champlain, le fort Saint-Frédéric contrôlait le chemin des comptoirs anglais de l'Hudson. Pour répliquer à cette surveillance accrue, les Anglais s'étaient dépêchés de fonder sur la rive méridionale du lac Ontario le port d'Oswego 5 afin d'y recevoir la fourrure apportée par les traitants qui leur faisaient confiance.
Tel était donc le face-à-face franco-anglais, périodiquement animé par de sanglantes échauffourées, quand, en 1754, avait été discuté à Albany 6 le plan d'union proposé par Benjamin Franklin aux représentants des colonies anglaises. L'idée n'était pas neuve : elle datait de 1637, soit dix-sept ans après le débarquement des pèlerins du Mayflower . Trois ans après la colonisation du Connecticut, les magistrats de cette province avaient, en effet, suggéré à ceux du Massachusetts, du Maryland et de la Virginie de s'unir pour une défense commune de leurs intérêts. Une vingtaine d'années avaient été nécessaires pour permettre à l'idée de faire son chemin. L'âpreté de la compétition territoriale avec la France avait, depuis 1752, stimulé les promoteurs de l'union et convaincu les tièdes de son utilité. La Louisiane, pas plus que la Nouvelle-France, ne pouvait tirer avantage d'une réelle cohésion des colonies britanniques.
Pendant que certains Louisianais, les moins nombreux, hélas ! s'employaient à développer l'agriculture et l'élevage, à organiser des circuits commerciaux, d'autres spéculaient sur les produits importés, imaginaient des combines pour s'enrichir sans fatigue, s'adonnaient au jeu familier des intrigues et des cabales, batifolaient dans les salons. Or, simultanément, un drame se jouait en Nouvelle-Écosse, dont les Acadiens faisaient les frais.
Depuis le traité d'Utrecht, signé en 1713, la Nouvelle-Écosse péninsulaire, c'est-à-dire l'Acadie, appartenait à l'Angleterre. Cependant, jusqu'à la fondation de Halifax, en 1749, les Acadiens avaient eu le sentiment de rester français sur un territoire britannique. Certes, Port-Royal était devenu Annapolis et des négociants de Nouvelle-Angleterre parcouraient le pays, mais l'occupation anglaise restait peu contraignante. Comme le nouveau suzerain redoutait de voir émigrer les colons qui exploitaient les terres, il avait refusé à ces derniers, malgré les termes du traité, de passer avec leurs troupeaux et leurs biens dans la partie de l'Acadie restée française. Au fil des années, tandis que bon nombre d'Acadiens rongeaient leur frein, tout en s'administrant eux-mêmes, et refusaient périodiquement de devenir sujets britanniques, les autorités occupantes avaient introduit dans le pays des familles anglaises, plusieurs milliers de personnes, afin, comme l'avait conçu le gouverneur Philipps, « de coloniser le pays avec des sujets de Sa Majesté ». En 1755, alors qu'augmentaient les tensions entre la France et l'Angleterre, les dirigeants de la Nouvelle-Écosse avaient jugé le moment opportun pour se débarrasser des Acadiens qui refusaient de prêter serment d'allégeance au roi d'Angleterre. Le 31 juillet 1755, tous furent prévenus du sort que leur réservaient les autorités : « Le Conseil a délibéré et décidé que les habitants français soient déportés hors du pays le plus tôt possible. On a résolu de commencer par ceux des régions de l'isthme », c'est-à-dire Grand-Pré. Ainsi avait
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