Au Pays Des Bayous
viendraient bientôt remplacer les administrateurs, afin d'assumer les responsabilités qui revenaient, de droit, aux représentants de Sa Majesté Catholique. Le brave d'Abbadie, qui, le 8 janvier, avait fait chanter un Te Deum à la cathédrale et donné un repas de cent couverts pour fêter la paix, fut tellement surpris qu'il tomba malade. Peut-être avait-il lu, dans une gazette, que M. de Voltaire s'était indigné, à Ferney, de voir « la France abandonner un pays au climat si agréable et dans lequel on produisait du tabac, de la soie, de l'indigo et mille autres choses utiles ».
Les Louisianais, qui voyaient toujours flotter sur les bâtiments publics le drapeau blanc à fleurs de lis, restèrent sceptiques et continuèrent de s'interroger sur leur avenir. Pour eux, la Louisiane était espagnole de jure mais restait française de facto ! Ils pensaient toujours de même quand, le 4 février 1765, à deux heures de l'après-midi, M. d'Abbadie mourut, « d'une maladie qui s'est d'abord déclarée colique nerveuse et ensuite épileptique », écrivirent, conjointement au ministre, M. Aubry, commandant des troupes, et M. Foucault, membre du Conseil supérieur faisant fonction de commissaire ordonnateur. Les deux notables, qui allaient se partager les responsabilités du défunt, tout en se querellant pour ne pas déroger à une détestable habitude de l'administration louisianaise, ajoutaient, pour d'Abbadie, cette oraison funèbre : « Il est généralement regretté. Son caractère doux et conciliant l'avait accrédité dans l'esprit de tous les honnêtes gens et les étrangers même ont témoigné, en plusieurs occasions, qu'ils seraient fort peinés de le perdre. » Les deux hommes estimaient, comme beaucoup d'habitants de La Nouvelle-Orléans, que la maladie de M. d'Abbadie avait été provoquée par une trop grande assiduité au travail. Par la même lettre, les signataires annonçaient au ministre l'arrivée en Louisiane de deux cent trente et un Acadiens. D'autres familles acadiennes, qui avaient fui le Canada et les colonies anglaises, étaient attendues. Il s'agissait des premiers groupes de francophones qui devaient, au fil des années, contribuer à l'augmentation de la population d'origine française. Les autorités avaient prévu de donner à ces émigrés, spoliés par les Anglais et encore sous le coup des souffrances endurées, des terres au pays des Opelousa et des Attakapa situés à soixante et quatre-vingts lieues de La Nouvelle-Orléans. « Nous y sommes portés d'autant plus volontiers que la fertilité des terres de ce quartier arrosé de plusieurs petites rivières, et où il y a depuis peu beaucoup d'habitants, mettra en peu d'années ceux-ci, la plupart cultivateurs et fort industrieux, en état, non seulement, de fournir à la consommation de cette ville, mais même d'y attirer plusieurs vaisseaux par leurs cultures et par le commerce qu'ils seront à portée de faire avec les nations et les Sauvages des environs. Ces pauvres malheureux n'ayant d'autres ressources que la charité du roi, nous avons cru devoir les aider en vivres, munitions et remèdes pour faciliter leur établissement. »
Ces Français, chassés d'Acadie par le Grand Dérangement, arrivaient le plus souvent à bord de mauvaises charrettes contenant leur maigre bien et suivies de quelques bêtes à cornes efflanquées. La plupart des chefs de famille cherchaient aussitôt à faire honorer la monnaie de carte et les billets qu'ils détenaient pour toute fortune. Ces effets, « répandus pour le service du Canada et de l'Acadie », n'inspirant pas grande confiance aux commerçants, l'administration, elle, était contrainte de les prendre en compte, sans trop savoir qui, du Trésor français ou du Trésor ibérique, les rembourserait peut-être un jour ! En attendant de résoudre ces difficultés, M. Aubry, un petit homme sec, que les commères incluaient dans la liste des amants de Mme de Pradel, prit sur lui d'informer clairement ses compatriotes que la cession à l'Espagne était une réalité qu'il serait vain de méconnaître et qu'un gouverneur espagnol était attendu avant la fin de l'année. Il s'efforça, dans le même temps, de convaincre les Indiens fidèles à la France de laisser les Anglais circuler librement dans les territoires qui leur avaient été dévolus par le traité de Paris, ce qui n'était pas facile. Les Britanniques voulaient notamment s'installer au pays des Natchez,
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