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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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de un degré sur l'équateur même. Promu capitaine, Ulloa avait collaboré, de 1740 à 1744, avec Jorge Juan pour l'établissement d'un rapport confidentiel sur le statut militaire des colonies espagnoles en Amérique du Sud. Son bateau ayant été capturé par les Anglais alors qu'il regagnait l'Espagne, il avait été conduit comme prisonnier de guerre en Angleterre, où sa réputation d'homme de science lui avait valu un traitement inattendu. Non seulement lord Charles Stanhope l'avait fait libérer, mais Martin Folkes, vice-président de la Royal Society of London, l'avait fait élire membre de cette institution savante. De retour en Espagne, Ulloa avait créé un cabinet d'histoire naturelle, un laboratoire de métallurgie, construit un observatoire, découvert sur la Lune un nouveau cratère auquel il avait donné son nom, rédigé divers ouvrages, aussitôt traduits en plusieurs langues, et entretenu une correspondance suivie avec les membres des académies des sciences française et anglaise. Répondant à une invitation, il avait rendu visite, à Berlin, à Frédéric le Grand.
    En 1758, le roi d'Espagne reconnaissant à la fois les mérites du savant et de l'administrateur, avait nommé Antonio de Ulloa gouverneur de la province péruvienne de Angares, où se trouvaient les fameuses mines de mercure de Huancavelica. Nanti d'un traitement annuel de huit mille pesos, cet homme sans fortune pensait développer l'exploitation des mines par des méthodes modernes de sa conception. Il avait compté sans la corruption qui régnait à l'état endémique dans cette région riche où, du vice-roi au dernier des fonctionnaires, tout le monde trafiquait. Gouverneur intègre et technicien réaliste, Ulloa s'était senti incapable de réformer les mœurs de fonctionnaires et de colons qui contrecarraient ses décisions et disposaient, à Madrid, d'appuis efficaces. Ayant demandé au roi de le tirer de ce qu'il nommait lui-même le « purgatoire péruvien » et de le rendre à ses chères études, le savant avait été exaucé et envoyé à Cuba, dans l'attente d'une nouvelle affectation. Ce devait être le poste de gouverneur de la Louisiane.
    À peine était-il installé dans ses fonctions que M. de Ulloa connut une série de désillusions. Dans cette ville de cinq mille cinq cents habitants, beaucoup de choses lui déplurent dès le premier jour. Il y avait les moustiques, certes, plus qu'en Amérique du Sud, mais ceux-ci le gênèrent moins que la crasse et le délabrement des maisons, des casernes, des hôpitaux et même de l'église Saint-Louis. Les capucins espagnols estimèrent que le sanctuaire ressemblait à une écurie. Trois autels avaient été dépouillés de leurs ornements sacrés. Pour se signer, les fidèles devaient faire couler sur leurs doigts l'eau bénite contenue dans une vieille bouteille de fer-blanc, les bancs avaient disparu et personne ne semblait souffrir de cette situation. Quand il apprit que l'église servait, à l'occasion, de salle des ventes et de théâtre, le représentant de Sa Majesté Catholique fit transporter ailleurs le saint sacrement.
    Ne disposant que de soixante-dix-neuf soldats – onze avaient déserté en mettant pied à terre –, le gouverneur pensait intégrer dans l'armée espagnole les trois cents militaires français présents dans la colonie. Or ces derniers refusèrent catégoriquement de servir le roi d'Espagne. Ils préférèrent conserver leurs uniformes rapiécés et ne pensaient d'ailleurs qu'à regagner la France où ils eussent dû être rapatriés en 1763 ! M. de Ulloa leur fit observer qu'il attendait un bataillon de quatre cents hommes, en cours de formation à Cuba, mais qu'il devait, jusqu'à l'arrivée de celui-ci, maintenir les Français en service, ne serait-ce que pour assurer la sécurité de leurs compatriotes. Avec une outrecuidance qui choqua le Sévillan, les officiers répondirent « qu'ils ne pouvaient faire ce sacrifice que pour leur roi ». Foucault, qui restait en fonctions, ne put que rapporter au ministre de la Marine ce premier incident. « Le corps des officiers [espagnols] s'est assemblé pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire à ce sujet et, réfléchissant qu'une contrainte serait très déplacée et pourrait entraîner quelque chose de fâcheux, il a été unanimement décidé qu'on les laisserait [les Français] les maîtres d'accepter ou de refuser. S'ils persistent dans leur résolution, il sera impossible à

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