Au Pays Des Bayous
ambassadeur Jean Milhet, un riche négociant, commandant de la milice locale, qui embarqua par le premier bateau. En arrivant à Paris, le Louisianais eut l'idée de solliciter le concours de l'homme qui, ayant voué sa vie à la Louisiane, pouvait le mieux l'aider à plaider la cause de la colonie devant le duc de Choiseul et, si possible, devant le roi soi-même.
Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, que Jean Milhet s'en fut quérir, était un vieillard mélancolique de quatre-vingt-cinq ans. Trois générations de Le Moyne avaient vécu, et souvent péri, pour fonder un empire français en Amérique. Tous avaient combattu, sur mer et sur terre, les Anglais et les Espagnols pour empêcher ces colonialistes rapaces de prendre le Canada, l'Acadie, la Louisiane, qu'un monarque, d'un trait de plume, leur avait donnés. Du grand rêve américain des Le Moyne ne restaient que ruines et tombes. Souvenirs aussi, et c'est pourquoi M. de Bienville accompagna Milhet à Versailles, pour tenter de rendre un dernier service au lointain pays qui était le sien plus que Paris, où il s'ennuyait. Le ministre accueillit le vieillard avec déférence, écouta les observations de Milhet, reçut comme un hommage à son roi la requête des Louisianais, mais ne put obtenir l'audience royale. Louis XV, de moins en moins Bien-Aimé, qui avait perdu sa prestance, dont « le teint livide, presque olivâtre » avait impressionné Anton Kaunitz, chancelier d'Autriche, considérait cette affaire d'Amérique comme classée et le fit clairement savoir. Bienville rentra chez lui, Milhet reprit le bateau. Le roi l'avait dit : la cession à l'Espagne était irrévocable.
Enfin l'Espagnol vint !
Personne ne croyait plus à l'apparition d'un gouverneur espagnol quand, le 14 février 1766, on annonça l'arrivée à la Balise d'un brigantin battant pavillon sang et or, ayant à son bord trente soldats portant barbichette. Partis de La Havane le 17 janvier, ces militaires constituaient l'avant-garde de don Antonio de Ulloa y de la Torre, chargé par le roi d'Espagne de prendre, en son nom, possession de la Louisiane.
Les gens de la Balise, qui accueillent cordialement le détachement, devront cependant attendre le 5 mars pour voir enfin le représentant de Charles III. C'est un homme de petite taille, sec, au visage maigre. On remarque tout de suite le front ample, le nez puissant, les lèvres ourlées, le regard lourd sous de gros sourcils noirs. Sa tenue sobre, sa discrète élégance rassurent, mais, malgré une simplicité de bon aloi, l'Espagnol montre immédiatement un réel souci de l'étiquette. Les Français constatent avec plaisir qu'il parle leur langue, ce qui n'est pas le cas de tous ceux qui l'accompagnent. Recevant Aubry à bord de son bateau, qui transporte, avec soixante soldats, le capitaine de Villemont, officier français passé au service de l'Espagne, le trésorier royal Esteban Gayarré, le commissaire des guerres Juan José de Loyola et trois capucins, dont le frère Clemente Saldaña, le gouverneur déclare aussitôt qu'il ne prendra officiellement possession de la colonie qu'au jour où il aura des militaires en nombre suffisant pour en assurer le contrôle et la défense. Après ce préambule, la réception à La Nouvelle-Orléans, où Ulloa débarqua le 10 mars, fut polie mais sans chaleur.
Les notables de la ville avaient été renseignés sur la personnalité de ce gentilhomme, dont la réputation paraissait universelle dans les milieux scientifiques.
Antonio de Ulloa y de la Torre, fils de Bernardo de Ulloa, Alcalde Mayor , auteur d'ouvrages économiques, était né à Séville le 12 janvier 1716. Au célèbre collège Santo Tomas il avait été l'élève du fameux mathématicien Vásquez Tinoco, avant d'être admis, en 1732, dans la prestigieuse institution des gardes-marine, réservée aux fils de la noblesse qui voulaient faire carrière dans la flotte royale. Il avait commencé à naviguer comme garçon de cabine de l'amiral Manuel Pintado, alors commandant de l'escadre de galions armés pour l'Amérique, puis avait pris ses grades d'officier. Parce qu'il était féru d'astronomie et de sciences naturelles, le roi l'avait désigné, en 1734, pour participer à l'expédition scientifique française, dirigée par Pierre Bouguer 11 et Charles-Marie de La Condamine 12 , qui s'était rendue au Pérou, à la demande de l'Académie des sciences de Paris, afin de déterminer la longueur d'un arc de méridien
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