Au Pays Des Bayous
occuper le poste de Baton Rouge et créer sur le Mississippi, au confluent de la rivière Iberville, un port capable de concurrencer La Nouvelle-Orléans, où leurs bateaux de commerce n'avaient pas accès. Aubry, qui commandait à quatre malheureuses compagnies, s'en inquiéta auprès de Choiseul. « Si leurs troupes [celles des Anglais] étaient attaquées par nos petites nations en y allant comme c'est arrivé l'an passé, il serait à craindre qu'ils s'en vengeassent cruellement en engageant les Chacta à désoler nos établissements, à quoi nous ne pourrions guère nous opposer, n'ayant point de troupes suffisantes pour défendre le pays. Je vais aussi, Monseigneur, préparer, autant qu'il sera possible, la voie aux Espagnols et annoncer aux Sauvages qu'ils ne doivent point être surpris de leur arrivée ; attendu que les Empereurs de France et d'Espagne sont frères et du même sang, que les deux nations n'en font plus qu'une, qu'ils auront pour eux les mêmes égards que nous et qu'ils verront, dans leurs troupes, des chefs et des guerriers français, auxquels ils sont accoutumés, ce qui doit leur prouver la bonne amitié et union qui règnent entre nous. » Malgré cette manière un peu simpliste, et même fallacieuse, de présenter les choses, les Sauvages regimbèrent, ce qui donna beaucoup de soucis aux Anglais, du côté des Grands Lacs où Pontiac, le chef des Ottawa, conduisit contre eux un soulèvement meurtrier, et aussi à M. de Saint-Ange, commandant du poste des Illinois. Les Indiens de cette région, Miami et Huron, refusant de prendre en considération le traité de Paris, à l'élaboration duquel nul ne les avait conviés, avaient décidé d'interdire l'accès des établissements français aux nouveaux propriétaires. Ils n'entendaient pas changer de protecteurs ni d'habitudes et, comme on les avait, depuis un demi-siècle, incités à combattre les Espagnols et les Anglais, présentés comme envahisseurs sanguinaires, ils s'en tenaient à cette conception. Quand on leur traduisit l'article du traité par lequel la France cédait leurs terres à l'Angleterre, ils firent remarquer avec hauteur qu'ils n'étaient pas tous morts, que les Français n'avaient pas le droit de les distribuer comme des marchandises et qu'ils verraient ce qu'ils auraient à faire !
Déjà, au mois de février 1765, Pontiac avait envoyé ses plus beaux guerriers à La Nouvelle-Orléans pour présenter à M. d'Abbadie un wampum 10 de guerre de deux mètres de long et de douze centimètres de large, portant les symboles d'alliance des quarante-sept tribus auxquelles il commandait du côté des Grands Lacs. Le directeur général de la colonie, qui devait décéder quelques heures après avoir reçu les représentants du chef indien, les avait exhortés au calme.
Au printemps 1765, les Français commencèrent à manifester leur inquiétude. Les habitants de Mobile, déjà sous administration anglaise, avaient été informés qu'ils devaient maintenant prêter serment de fidélité à George III, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande, dont on disait qu'il avait le cerveau dérangé. Le commandant des troupes britanniques en Louisiane, Robert Farmar, major du 34 e régiment, avait été formel. Ceux qui refuseraient cette allégeance se verraient « dépossédés de leurs terres et de leurs biens et devraient quitter la partie du pays cédée à la nation anglaise ». Les Français qui s'y conformeraient seraient protégés. Même si le gouverneur anglais des établissements du littoral, M. Johnston, entretenait les meilleurs rapports avec Aubry, un des rares Français capables de parler sa langue, on percevait chez les nouveaux occupants un désir vif et légitime de contrôler pleinement leur domaine. Les Espagnols, quand ils arriveraient, car ils finiraient bien par se montrer, seraient sans doute enclins à agir de la même façon.
Prenant exemple sur les Sauvages, les habitants de La Nouvelle-Orléans décidèrent d'envoyer une délégation à Versailles, auprès du roi. Quand furent réunis en ville tous les notables, les représentants des paroisses et bon nombre de citoyens ordinaires, M. Nicolas Chauvin de La Fresnière, procureur général, donna lecture d'une adresse qui serait portée à Louis XV. Les colons, les marchands et les militaires, unanimes, suppliaient le roi de France de ne pas les abandonner, de renoncer à détacher la Louisiane de la mère patrie. L'assemblée désigna comme
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