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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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acceptable sans la guerre qui ferme la plupart des débouchés et empêche les relations maritimes. Autre conséquence de l'isolement et du manque de navires, l'augmentation périodique du coût de la vie. Une barrique de vin coûte trois mille cinq cents livres, un baril de quatre-vingts kilos de farine six cents livres, un kilo de beurre vingt livres, un chapeau de castor quatre cents livres, une paire de bas de soie cent cinquante livres, un canard douze livres. Il est aussi très coûteux de se loger à La Nouvelle-Orléans, où le loyer mensuel d'une chambre meublée « sans vin » [sic] atteint cinq cents livres. Dans la conjoncture, les ouvriers, les petits employés et les militaires, dont les uniformes tombent en loques, souffrent de malnutrition et d'inconfort, mais les chevaliers d'industrie, les aigrefins, les spéculateurs, les fonctionnaires prévaricateurs, les concessionnaires et les escrocs s'enrichissent.
    Le gouverneur, dont l'honnêteté contrarie bon nombre de notables, s'efforce d'assainir la situation sans y parvenir. Il a fait jeter en prison l'amant de Mme de Rochemore, le lieutenant Paul de Rastel de Rocheblave, militaire affairiste qui néglige son service. Il a aussi demandé au ministre de la Marine le rappel du mari de la poétesse. Rochemore, qui se croit tout permis, a franchi les bornes des malversations coloniales courantes. Il a profité d'un voyage de Kerlérec à Mobile pour faire saisir la cargaison de farine du Texel , propriété de l'armateur David Diaz Arias. Ce navire, envoyé secrètement par le gouverneur de la Jamaïque, apportait de quoi nourrir les militaires de la garnison, qui ne mangeaient plus depuis des semaines que du pain de maïs et du riz. Rochemore et le trésorier Destréhan, ignorant que M. de Kerlérec attendait ce bateau, virent là une bonne affaire. Comme le capitaine refusait de céder à bas prix aux deux hommes la farine qu'ils eussent revendue avec bénéfice à l'armée affamée, Rochemore, exhibant un édit de 1615, confirmé par une ordonnance de 1727, s'était emparé du chargement et l'avait vendu. Les textes en question interdisaient, en effet, à tous les navires appartenant à des armateurs anglais ou juifs l'accès aux ports de Louisiane. Or M. Diaz Arias était juif et sujet britannique. Le commissaire ordonnateur avait donc fait appliquer le règlement et s'était s'assuré, sans bourse délier, un bon bénéfice ! L'usage inopportun d'une telle procédure risquait de décourager tous les capitaines qui pourraient être tentés, à l'avenir, de ravitailler la Louisiane. Mais l'arnaqueur n'avait cure de ce genre de considération, surtout quand un profit substantiel se doublait pour lui du plaisir de mettre le gouverneur dans l'embarras.
    Kerlérec, qui avait d'autres reproches à formuler contre cet étrange ordonnateur, parvint à faire passer en France, sur une goélette commandée par un capitaine risque-tout, son neveu, porteur d'un rapport circonstancié et sollicitant la révocation du fripon. Rochemore, inquiet, avait réussi à faire discrètement embarquer sur le même bateau l'enseigne Fontenette, lesté de vingt mille livres. Cette somme judicieusement utilisée permettrait à l'envoyé spécial du prévaricateur de rendre les gens du ministère moins sensibles aux arguments du gouverneur.
    Le 29 avril 1762, la réponse du ministre parvint à La Nouvelle-Orléans quand trois vaisseaux, les premiers depuis quatre années, se présentèrent devant une population d'autant plus ravie que la Médée , le Bien-Aimé et la Fortune apportaient, en plus des médicaments et des munitions tant attendus, quatre cent quarante-six soldats et trente-cinq officiers, soit dix compagnies du régiment d'Angoumois commandées par le marquis de Frémeur. La vue des uniformes frais et des armes neuves réjouit les colons et impressionna les Indiens. Un quatrième navire, le Bien-Acquis , transportant M. Jean-Jacques Blaise d'Abbadie, nommé le 29 décembre 1761 « directeur général, ordonnateur et commandant pour Sa Majesté de la Louisiane », avait été capturé par les Anglais et conduit à la Barbade.
    Quand M. de Kerlérec eut pris connaissance des plis cachetés remis par un officier, quelques-uns firent grise mine. M. de Rochemore notamment, qui s'entendit, sur l'heure, signifier sa révocation. Privé de traitement, l'ex-commissaire ordonnateur était convoqué en France. Le ministre assurait le gouverneur que Bellot,

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