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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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flottille de quatre navires, le Joly , trois-mâts portant trente-cinq canons, la Belle , petite frégate armée de six canons et offerte par le roi à l'explorateur, l' Aimable , flûte jaugeant trois cents tonneaux, propriété d'un armateur de La Rochelle, M. Massiot, le Saint-François , cotre à tapecul de petit tonnage, chargé de vin et de denrées destinées aux habitants de Saint-Domingue et qui devait faire route jusqu'à cette île avec la flottille. Après cette escale, les bateaux contourneraient la pointe de la Floride et débarqueraient les pionniers dans les bouches du Mississippi, visitées deux ans plus tôt par le chef de l'expédition. On emportait du matériel, des fournitures et des objets de première nécessité destinés aux colons qui accepteraient de s'installer dans le delta.
    Deux cent quatre-vingts soldats, ouvriers et volontaires étaient du voyage. Ces gens, qui avaient souvent été enrôlés, à La Rochelle et à Rochefort, par des recruteurs professionnels, et payés, c'est le cas de le dire, à la tête du client, représentaient, d'après La Salle lui-même, un bel échantillon de « cette racaille de toutes les nations qui hante les grands ports 9  ». Le seigneur réhabilité de Frontenac avait sélectionné personnellement les officiers qui devaient encadrer cette troupe peu reluisante. Certains d'entre eux avaient choisi l'aventure coloniale pour se faire oublier en métropole. C'était le cas du marquis de La Sablonnière, un libertin ruiné par le jeu et les donzelles. Il comptait que l'exploration de la Louisiane serait plus payante que la campagne contre les Barbaresques d'Algérie, dont il n'avait rapporté que la vérole. Parmi les recommandés dont Cavelier fut obligé de s'encombrer figurait le fils d'un secrétaire du roi, Pierre Meunier, un bon à rien que sa famille souhaitait éloigner. Avaient embarqué aussi des commerçants rouennais, Legros et les frères Duhault, qui, ayant investi dans les fournitures, voulaient s'assurer par eux-mêmes de la rentabilité de l'opération. De braves soldats faisaient heureusement partie de la troupe, notamment Henri Joutel, fils du jardinier des Cavelier, qui avait reçu une bonne éducation et comptait dix-sept ans de service dans l'armée. Il serait pour La Salle, comme Tonty, un lieutenant à la fidélité inaltérable et publierait en 1713 une relation de l'expédition 10 . Trois missionnaires récollets figuraient parmi les passagers, le père Zénobe Membré, qui connaissait le pays, et ses confrères Maxime Le Clercq et Anastase Douay. On avait invité aussi des sulpiciens, Jean Cavelier, le frère de Robert, et les abbés Chefdville et Esmanville. M. de La Salle, pour plaire à sa famille, avait encore accepté de prendre à bord deux de ses neveux qui voulaient voir l'Amérique, Crevel de Moranger et Nicolas Cavelier. Enfin, comme il valait mieux dans ce genre de croisière avoir un chirurgien sous la main, on s'était entendu avec un certain Liotot, qui avait mis un peu d'argent dans la pacotille à vendre aux Indiens.
    Si M. de La Salle commande aux soldats, un capitaine de la marine royale, M. Le Gallois de Beaujeu, normand comme l'explorateur, commande aux navires. La Salle choisit l'itinéraire mais Beaujeu décide des manœuvres. C'est là que gît, dès avant l'appareillage, le ferment d'un désaccord que l'opposition des caractères amplifiera et qui conduira à des conflits très préjudiciables à l'expédition.
    La Salle n'était pas un de ces vaniteux ordinaires qui se prennent pour génie universel parce que la fortune leur a, une fois, souri. Conscient de sa valeur, il entendait tenir la place que l'Histoire consentait enfin à lui attribuer et n'admettait pas qu'on méconnût ses compétences déjà prouvées, ni qu'on empiétât sur ses prérogatives. Il n'avait pas pour habitude de révéler aux autres par le détail ses projets et ses plans. Peut-être estimait-il que ses interlocuteurs eussent été incapables, ne distinguant que les signes extérieurs de l'entreprise, de comprendre l'immense ambition qui l'animait. Cavelier le Normand se faisait une certaine idée de l'Amérique française. Cette idée primait tout. Les contingences ne pouvaient l'infléchir, l'intendance devait suivre, les hommes marcher sans murmurer ni même poser de questions. À ceux qui avaient accepté de l'accompagner, Cavelier ne promettait que l'honneur de figurer parmi les défricheurs d'un nouveau royaume. Il

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