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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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pourrait que tenir sa langue et se garderait de donner l'alerte.
    Duhault et ses amis comptaient en effet qu'au bout d'un jour ou deux La Salle, ne voyant pas revenir son neveu, se mettrait à sa recherche. Les assassins avaient calculé juste et, le 19 mars, Cavelier, accompagné du père Anastase Douay et d'un guide indien, se mit en route. Sachant la haine de Duhault et Liotot pour Crevel de Moranger, peut-être avait-il le pressentiment d'un drame. Ce furent les choucas, sans doute attirés par les dépouilles des bisons dépecés deux jours plus tôt, qui guidèrent le Normand jusqu'au campement des meurtriers de son neveu. Prévenus de l'approche du chef, Duhault et ses complices armèrent leurs fusils, se mirent en embuscade et envoyèrent Larchevêque au-devant de M. de La Salle et du religieux. Dès qu'il aperçut le valet, Cavelier s'enquit du sort de Moranger. « Il est à la dérive », aurait répondu avec insolence le domestique, faisant sans doute allusion au fait que les corps des victimes avaient été jetés dans la rivière proche.
    Outré par cette réponse d'un laquais qui ne s'était même pas découvert devant lui, M. de La Salle s'apprêta à châtier Larchevêque. Plus tard, dans leur récit, tous les témoins insistèrent sur ce détail. Le seigneur des Sauvages n'eut toutefois pas le temps de corriger l'effronté. Les tireurs, dissimulés dans les hautes herbes, ajustèrent leur coup et M. de La Salle s'écroula, la tête fracassée, aux pieds du père Anastase Douay, qui vit avec horreur expirer le vice-roi d'Amérique. Le chirurgien Liotot, surexcité par ses crimes, trouva pour la première fois assez d'audace pour insulter le cadavre d'un homme qu'il n'avait jamais osé contredire de son vivant. « Te voilà grand Bacha ! » cracha-t-il avant de dépouiller le Normand de ses vêtements et de traîner le corps inerte dans les buissons où l'on peut imaginer que, la nuit venue, les loups, nombreux à l'époque, vinrent disputer aux choucas et autres rapaces les restes du fondateur de la Louisiane.
    Des chercheurs texans, après de multiples recoupements et l'étude des chroniques ou témoignages livrés par les survivants du dernier voyage de Cavelier, estiment aujourd'hui que le crime eut lieu près de Navasota, un bourg du comté de Grimes, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Houston 15 . Cela nous permet de constater qu'au jour de sa mort tragique M. de La Salle se trouvait encore à plus de trois cents kilomètres de l'endroit où, cinq ans plus tôt, il avait dressé, dans le delta du Mississippi, une colonne aux armes de France.
    On sait, par le journal de Joutel, comment l'officier, l'abbé Cavelier, frère de l'explorateur assassiné, le père Anastase Douay et quelques autres retrouvèrent, grâce aux Indiens, le Mississippi qu'ils remontèrent pour regagner le Canada sans ébruiter le drame qu'ils avaient vécu. Les historiens continuent à s'interroger sur les raisons réelles qui incitèrent alors l'abbé Cavelier à cacher avec obstination pendant des mois, et au prix de mensonges déconcertants, la mort de son frère aux gens qu'il rencontra. Les bienveillants estiment qu'il agit ainsi pour protéger jusqu'à son retour en France l'exclusivité de l'œuvre entreprise par Robert, dont il comptait poursuivre lui-même les projets coloniaux. D'autres avancent que le sulpicien tenait surtout à s'approprier les biens du disparu, dont le stock de peaux de castor entreposé dans les forts, avant que les créanciers soient informés de la mort de leur débiteur. À Paris, comme à Québec, on savait M. de La Salle lourdement endetté.
    Le fait qu'en retrouvant, sept mois plus tard, au fort Saint-Louis des Illinois, le fidèle Tonty, l'abbé ait raconté qu'il avait laissé son frère en excellente santé le 15 mai 1687 au pays des Arkansa, dans la maison d'un certain Couture, alors que Robert était mort le 19 mars, donne en effet à penser que les dissimulations du sulpicien n'étaient pas désintéressées. Après avoir émis ce mensonge, en présence du père Anastase Douay qui avait recueilli le dernier soupir de l'explorateur et de Tessier, témoin indifférent des crimes mais à qui les religieux avaient pardonné sa lâcheté, l'abbé produisit un document daté du 9 janvier 1687 et signé de Robert Cavelier, sieur de La Salle. Le papier ordonnait de remettre au porteur tout ce qu'il demanderait pour assurer son passage en France. L'officier à la

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