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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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seulement Duhault pleurait son jeune frère Dominique, tué un an plus tôt par les Indiens, mais il continuait à se lamenter en évoquant la disparition en mer Caraïbe du Saint-François et le naufrage de l' Aimable dans le golfe du Mexique. Les cargaisons de ces navires lui appartenaient pour moitié et aucune assurance maritime ne le rembourserait jamais. M. de La Salle, tenu pour responsable par Duhault de la mort de Dominique, avait certes exprimé des regrets et présenté des condoléances, mais le préjudice matériel causé au commerçant par flibuste et naufrage ne l'avait pas ému outre mesure. Le Normand regrettait certes les bateaux disparus et le matériel colonial englouti, mais il semblait considérer la perte des produits commercialisables embarqués par Duhault comme fortune de mer et désagrément mineur. C'est auprès du chirurgien Liotot que le négociant rouennais trouvait le plus de compréhension. Le médecin avait, lui aussi, investi de l'argent dans l'expédition et il devenait clair pour tout le monde que les commanditaires ne rentreraient pas dans leurs frais.
    Depuis plusieurs semaines, les deux hommes et quelques autres ne supportaient plus les exigences, le ton cassant, la moue dédaigneuse dont M. de La Salle accompagnait ses remarques et ses remontrances. Ils avaient aussi le sentiment d'avoir été dupés et se demandaient même si le seigneur de Frontenac avait jamais navigué sur le Mississippi !
    Le 16 mars, Duhault, Liotot, Hiens, Tessier, les deux valets Larchevêque et Saget et le chasseur Nika, que M. de La Salle avait envoyés au ravitaillement dans une cache où il avait entreposé du maïs lors d'une précédente reconnaissance, trouvèrent le blé d'Inde corrompu par l'humidité et mangé par la vermine. Par chance, le Chaouanon Nika abattit deux bœufs sauvages et la nouvelle fut portée au camp principal par Saget, avec mission de ramener des chevaux pour transporter la réserve de viande ainsi constituée. M. de La Salle délégua son neveu Moranger et deux hommes pour aller quérir les provisions. À peine le contact fut-il établi entre Moranger et Duhault que la dispute aurait commencé à propos d'un os à moelle et des pièces mises à griller, sans doute le meilleur morceau, la bosse du bison, que le négociant et le chirurgien se préparaient à déguster. La querelle se serait envenimée au cours du repas. Il est bien probable qu'un différend de cet ordre, entre gens qui depuis deux ans menaient en commun une vie difficile et dangereuse, ne suffit pas à expliquer le drame qui allait se dérouler la nuit suivante. Ce dernier est plutôt l'aboutissement des rancœurs accumulées, des déceptions, des fatigues endurées, des risques vainement encourus, des promiscuités forcées où s'exaspèrent les défauts des uns, la mesquinerie des autres, et où les débrouillards prennent le pas sur les scrupuleux. Peut-être faut-il tenir compte aussi de l'atmosphère d'un pays aux moiteurs aussi débilitantes pour le corps que pour l'esprit.
    Ce soir-là, s'étant éloignés de leurs compagnons sous prétexte d'aller couper du bois, Duhault et ceux qui partageaient ses ressentiments se concertèrent et, de sang-froid, mirent au point l'exécution de M. de La Salle. Il fallait d'abord se débarrasser de Moranger et des fidèles de l'explorateur, son valet Saget et le Chaouanon Nika, qui pourraient soit intervenir, soit dénoncer le complot. Assez lâchement, Tessier, le pilote, déclara ne pas vouloir se mêler de ce genre d'affaire mais promit sa neutralité. James, l'Anglais, qui avait déjà connu les galères, se joignit par esprit de lucre à la conjuration. Hiens, le Wurtembourgeois, suivit le mouvement. Quand les trois victimes désignées furent endormies, Liotot, le chirurgien que n'incommodait pas la vue du sang, se saisit d'une hache et, avec la détermination d'un tueur des abattoirs, porta plusieurs coups à la tête de Moranger. Croyant en avoir fini avec cet homme, il se précipita sur l'Indien Nika puis sur Saget et, de la même façon, leur défonça le crâne. Ces derniers succombèrent instantanément, mais Moranger trouva la force de se redresser en râlant. Comme Marle, qui ne savait rien des projets criminels de Duhault, se réveillait et découvrait avec horreur le carnage, les assassins exigèrent de ce piètre aventurier qu'il achevât le neveu de M. de La Salle s'il voulait conserver la vie. Devenu complice des meurtriers, Marle ne

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