Au Pays Des Bayous
14 septembre 1687, l'abbé Cavelier et le récollet Anastase Douay. Ces derniers lui donnèrent à penser par leurs propos mensongers que l'entreprise de La Salle, occupé, d'après eux, à construire des ports à l'embouchure du Mississippi, était en voie de réalisation. Les jésuites, habituellement bien renseignés, ignoraient donc la mort de leur ancien novice. Le père Allouez, croyant ce dernier bien portant, se souciait peu de le rencontrer s'il venait à débarquer au fort Saint-Louis des Illinois après son frère.
Pendant ces années d'abandon de la Louisiane par l'État, la présence française, entre les Grands Lacs et le golfe du Mexique, demeura réelle, bien que diffuse et sans représentation officielle. Les coureurs de bois et les traitants parcouraient le pays, visitant les villages indiens, parfois à bord de grands canots chargés de produits manufacturés qu'ils troquaient contre de la pelleterie et les vivres nécessaires à leur subsistance.
De nombreux Franco-Canadiens, doués d'une résistance physique exceptionnelle, habitués depuis l'enfance aux hivers rudes et aux étés brûlants, connaissant le réseau des fleuves et des rivières, tireurs adroits, sachant s'orienter et interpréter les signes de piste des Indiens, nomades, menaient cette vie libre, le plus souvent solitaire et toujours dangereuse. « Ils battaient la prairie dans toute son étendue, parcourant en une année la distance qui sépare le Mexique du Canada, par des routes, des trails 4 , à peu près toujours les mêmes et dont quelques-uns devaient indiquer plus tard la voie aux convois d'émigrants et enfin aux chemins de fer 5 . »
Ces hommes frustes, aux mœurs rustiques et d'une animalité crue, ne souhaitaient que se procurer au meilleur des peaux de castor qu'ils revendaient le plus cher possible dans les postes aux représentants des compagnies. Informateurs précieux et colporteurs de nouvelles, ils entretenaient le souvenir laissé par La Salle et ses compagnons. À travers leurs récits, l'aventure devenait légende. Toutefois ces individualistes, pour qui la notion de patrie restait des plus floue, n'hésitaient pas à soutenir, le plus souvent comme agents de renseignements, tantôt la cause française, tantôt les intérêts anglais, suivant le camp où ils trouvaient le meilleur compte. Quand, en 1696, Louis XIV imposa des restrictions draconiennes à la traite et que les coureurs de bois furent mis hors la loi, plusieurs traitants français décidèrent d'aller livrer leur castor aux Anglais de Pennsylvanie ou du Maryland.
On rencontrait aussi, dispersés dans les tribus entre les Grands Lacs et le fleuve Arkansas, des aventuriers de tout poil temporairement sédentarisés. Rescapés ou déserteurs d'expéditions antérieures, ils avaient élu domicile parmi les autochtones et participaient, à l'occasion, aux conflits locaux, fréquents entre nations indiennes. Ils se faisaient souvent, grâce à leurs armes à feu, des situations de manitou ou de sorcier. La plupart d'entre eux avaient adopté les mœurs de leur tribu d'accueil et cohabitaient avec une ou plusieurs Indiennes qui leur donnaient de beaux enfants métis. Les missionnaires de passage tentaient parfois de ramener ces évadés des sociétés policées à la civilisation qu'ils avaient délibérément fuie. Les prêtres en étaient généralement pour leurs frais, mais, pour la plus grande gloire de Dieu et la tranquillité d'esprit des marginaux indianisés, ils baptisaient les fruits des amours exotiques qui en valaient bien d'autres !
On comptait aussi, autour des Grands Lacs, sur les rives du Mississippi, de ses affluents et jusqu'au pays des Arkansa, des missions catholiques tenues par des religieux intrépides comme le père Pierre-François Pinet, qui fonda la mission de l'Ange-Gardien à proximité du fort construit par Tonty et La Forest, le père Jacques Gravier, qui réactiva, avec les pères Bineteau et Gabriel Marest, la mission de l'Immaculée-Conception créée par le père Marquette en 1673, ou le père Sébastien Rales, qui vivait avec les Indiens Kaskaskia, près du lac Peoria.
Étant donné l'immensité du territoire, ces Français, coureurs de bois, traitants, officiers ou religieux, ne pouvaient prétendre lutter efficacement contre les ingérences anglaise ou espagnole. Aux Illinois, Tonty, le mieux loti, disposait d'une garnison de soixante hommes qui, en 1689, avaient participé à la guerre contre les
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