Au Pays Des Bayous
abominables et les plus opposés à la nature et au bien de la société, ces crimes punis autrefois par le feu du ciel et dignes, selon les lois, d'être réprimés et châtiés par les flammes, étaient devenus communs. On parlait de ces sortes d'exécrables engagements entre les libertins de profession, comme si l'on eût parlé d'une galanterie entre homme et femme. » Et Monsieur, frère du roi, en était !
C'est dans cette atmosphère sulfureuse, assez peu favorable à l'exposé des causes nobles, que l'abbé Cavelier s'était manifesté comme un trouble-fête, rapportant des faits macabres et semant l'inquiétude quant à l'avenir de nos colonies du Nouveau Monde. Resté en Louisiane, le brave Tonty, à qui le roi avait concédé, en partage avec le major La Forest, le fort Saint-Louis des Illinois pour dédommager les deux hommes des créances impayées par La Salle, se démenait pour qu'on l'autorisât à reprendre les projets de l'explorateur défunt. Il expédiait à la cour lettres et mémoires afin d'expliquer, comme l'abbé Cavelier, que les Anglais pouvaient fort bien, à partir de leurs colonies de la côte atlantique, organiser des expéditions vers la vallée du Mississippi. Il révélait comment des traitants de fourrure britanniques, venus des Carolines, avaient installé un poste chez les Indiens Cherokee, et comment un autre Anglais, parti d'Albany, colonie de New York, avait été reçu chez les Miami. Il mettait le ministre de la Marine en garde contre l'arrivée possible d'autres négociants par les affluents du Mississippi, principalement l'Ohio et son tributaire, le Tennessee.
Henry de Tonty, âgé de plus de quarante-cinq ans, vouait un véritable culte à La Salle, dont il avait été le lieutenant préféré. La réalisation du plan de colonisation conçu par son chef lui tenait d'autant plus à cœur qu'elle allait dans le sens de son intérêt. En 1692, il avait formé, avec La Forest, une société au capital de vingt mille livres et abandonné le fort Saint-Louis des Illinois qui, bâti sur un rocher, était facile à défendre en cas d'attaque mais impossible à approvisionner en cas de siège. Les associés avaient auparavant construit un autre fort « de mille huit cents pieux » et plusieurs maisons, près du village de Pimitéoui, à trois kilomètres au nord du lac Peoria, à l'endroit où avait été édifié en 1681 par La Salle un fort provisoire nommé Crèvecœur. Tonty et La Forest avaient encore construit un entrepôt à fourrure au débouché de la rivière Chicagou dans le lac Michigan.
Quand, en 1696, le roi permit à Tonty de traiter des peaux de castor avec les Indiens de l'Ouest, ce qui était désormais interdit aux autres traitants français 3 , l'homme à la main d'argent imagina le développement que pourrait connaître le commerce de la pelleterie si l'on jalonnait de postes et de forts les berges du Mississippi, des Grands Lacs au golfe du Mexique, comme l'avait voulu Cavelier de La Salle.
D'autres que Tonty étaient prêts à tenter cette lucrative aventure et l'on recevait à Versailles des offres de service émanant d'officiers et de marins installés au Canada.
Les jésuites, qui ne sont jamais à court d'idées, ne restaient pas inactifs. Ils avaient déjà présenté un projet de mise en valeur de la Louisiane pendant que Cavelier de La Salle errait au Texas à six cents kilomètres de l'embouchure du Mississippi. Ils avaient demandé l'autorisation de construire un vaisseau et des barques pour descendre le fleuve, reprenant ainsi l'idée de La Salle qui avait autrefois lancé le Griffon sur le lac Michigan, avec la malchance que l'on sait. Les robes noires non seulement s'engageaient à évangéliser les Indiens, ce qui était leur mission ordinaire, mais ils proposaient de dresser une carte du fleuve et de ses affluents, de décrire la faune et la flore, de recueillir des échantillons de minerai. Ils oubliaient d'ajouter que la Louisiane, n'étant pas comprise dans la Nouvelle-France, échappait, au moment de leur demande, à la réglementation de la traite, ce qui leur permettrait d'apporter des ressources commerciales supplémentaires à la Compagnie. Ce projet datant du vivant de La Salle explique sans doute pourquoi le père Allouez, explorateur expérimenté que la Compagnie de Jésus avait désigné comme successeur du père Marquette, avait préféré, bien que malade, quitter le fort Saint-Louis des Illinois en voyant arriver, le
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