Au Pays Des Bayous
après tout qu'une compensation à la servilité parfois imposée à leurs frères par les Français et les Anglais. Dix-neuf jours après leur capture, les prisonniers, que les Indiens traitaient correctement, bien qu'ils les obligeassent à chanter pour distraire les guerriers, arrivèrent avec leurs geôliers devant des chutes qui interrompirent la navigation. Le père Hennepin, respecté plus que les autres parce qu'il possédait un ciboire pour potion magique et une boussole, donna le nom de saint Antoine à cette cascade. Il apprit aussi sans plaisir qu'il serait adopté, à deux cent cinquante kilomètres de là, par un vieux chef indien en manque de fils !
Le récollet passa ainsi plusieurs mois chez les Sioux. Accault et Gay avaient été emmenés dans d'autres villages où leur captivité ressemblait fort à une aimable liberté surveillée. Ce n'est qu'au commencement de l'été, au moment où la tribu reprit la route du sud et des prairies pour chasser le bison, que Louis Hennepin retrouva Accault et Gay, au bord du Mississippi, et obtint de son père adoptif l'autorisation de retourner avec eux chez les Français à la fin de la saison de chasse. Aussi, quand Hennepin et ses compagnons rencontrèrent un célèbre coureur de bois nommé Duluth, ou Du Luth, connu et estimé des Indiens, qui avec quatre Canadiens remontait le fleuve, il fut décidé que tous accompagneraient les Sioux jusqu'à Mille Lac, leur grand village, dont on sait aujourd'hui qu'il était situé à moins de cent cinquante kilomètres de la source du Mississippi, alors ignorée 12 .
Les Sioux offrirent un banquet aux Français qui, après un nouveau séjour chez les Indiens, allèrent hiverner à Michilimackinac, à la jonction des lacs Huron et Michigan. La petite troupe fit une halte à la mission Saint-François-Xavier tenue, au sud de la baie des Puants, aujourd'hui Green Bay, par le père Allouez.
Le 29 mars 1681, Louis Hennepin, Duluth et deux autres Français quittèrent la mission Saint-Ignace de Michilimackinac pour Montréal. Parvenu à destination, le récollet rendit visite au comte de Frontenac, à qui il se mit à débiter des fables que l'on devait retrouver dans un rapport de 1683 à la cour de France sous le titre : Description de la Louisiane Nouvellement découverte au sud-ouest de la Nouvelle-France, par ordre du Roy. Avec la carte du pays, les mœurs et la manière de vivre des Sauvages. Dédiée à Sa Majesté par le R. P. Louis Hennepin, Missionnaire Récollet et Notaire Apostolique .
Ce texte fut publié « à Paris, chez la veuve Sébastien Huré, rue Saint-Jacques, à l'image Saint-Jérôme, près Saint-Séverin ». L'ouvrage comptait deux cahiers de trois cent treize et cent sept pages et ouvrait sur une « Epystre au Roy », qui avait accordé privilège de publication.
Hennepin ne s'est pas attardé à Montréal. À la fin de l'année 1681, alors que Cavelier de La Salle en est aux derniers préparatifs de l'expédition qui va assurer sa gloire, le récollet s'est embarqué sur un bateau de pêche pour rentrer en France. On peut apprécier le sens inné et moderne que le prêtre semble avoir eu de la publicité et des relations publiques. À peine débarqué au Havre, il décide de rejoindre le couvent de son ordre, à Saint-Germain-en-Laye, en remontant la Seine à bord d'un canoë en écorce de bouleau rapporté de chez les Indiens ! Bateliers et riverains ne manquent pas de remarquer ce religieux qui pagaie sur un esquif de type inconnu en Normandie. Le fait que le canoë soit peint aux couleurs du roi de France force à la fois l'attention et le respect. Cette initiative ne fut cependant pas du goût de l'abbé Jean Dudouyt, représentant de l'évêque de Québec à Paris, qui le fit savoir.
En décembre 1681, le père Hennepin se trouve à Versailles où tout se passe, où tout s'obtient. Il se met à parler de ses explorations avec feu comme s'il en était le promoteur, dénigre les jésuites pour valoriser les récollets, dit qu'il faut prévoir des établissements tout au long du Mississippi. Grisé par l'accueil chaleureux de ceux à qui il raconte sans vergogne qu'il a descendu le grand fleuve jusqu'à la mer du Mexique, alors que La Salle n'a pas encore pris le départ pour le delta, il ne peut pas refuser longtemps d'écrire un rapport circonstancié destiné à la cour mais qu'il compte bien faire imprimer. C'est le bon moyen, pense-t-il, de s'assurer une priorité que
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