Au Pays Des Bayous
Utrecht, en 1697, sous le titre alambiqué de Nouvelle Découverte d'un très grand pays situé dans l'Amérique, entre le Nouveau Mexique et la mer Glaciale. Avec les cartes et les figures nécessaires, et de l'Histoire morale et naturelle, et les avantages qu'on peut en tirer par l'établissement des colonies , un ouvrage où le récollet apparaît sous les traits d'un religieux coureur de bois intrépide, débrouillard, audacieux, sorte de trompe-la-mort au service de Dieu. « Je suis venu à bout d'une entreprise capable d'épouvanter tout autre que moi », écrivait-il modestement !
Cette chronique d'un voyage, que l'on sait aujourd'hui en grande partie imaginaire, fut accueillie comme un véritable roman d'aventures par les lecteurs de l'époque. Il y avait du Fenimore Cooper, du Walter Scott et un rien de Chateaubriand chez ce mystificateur au demeurant bon écrivain. Le livre connut un enviable succès 14 . L'édition originale en deux volumes ouvrait sur une dédicace dithyrambique « à Sa Majesté Guillaume III, par le R. P. Louis Hennepin, Missionnaire Récollet et Notaire Apostolique ».
L'ambassadeur de France à La Haye, M. de Bonrepos, au courant des agissements du père Hennepin, et sans doute l'un des premiers lecteurs du livre, avait aussitôt alerté le comte de Pontchartrain, secrétaire d'État à la Marine et à la Maison du roi. Il avait même reçu le récollet maintenant bien ennuyé car les Anglais, qui l'avaient pris au mot, formaient déjà sur les bords de la Tamise « une compagnie pour la rivière du Mississippi » et comptaient que le religieux leur servirait de guide comme il s'y était engagé ! Pris au piège de ses affabulations, de ses rancœurs et de sa vanité, changeant une nouvelle fois de camp, le religieux finit par dévoiler au représentant de la France les projets anglais, expliqua qu'il se souciait peu de servir ces derniers et demanda l'autorisation de retourner au Canada. Pontchartrain autorisa ce voyage mais envoya au gouverneur de Nouvelle-France l'ordre d'arrêter Louis Hennepin dès son arrivée à Québec. Flairant le piège, le récollet préféra se faire embaucher comme aumônier à bord d'un grand vaisseau génois qui devait appareiller d'Amsterdam pour l'Italie. Comme dans les meilleurs romans d'espionnage, le père Hennepin, recherché à la fois par les Anglais et les Français, en rupture de ban avec son ordre dont il ne pouvait plus rien attendre, craignait d'être attendu à Gênes par des agents de Louis XIV ou de Guillaume III ! Aussi débarqua-t-il à Cadix pour y séjourner plusieurs mois…
Le récollet, devenu discret, finit par arriver à Rome à la fin de l'année 1699 et, s'étant retiré dans un couvent des Frères mineurs, il tenta d'intéresser à son sort le cardinal Fabrizio Spada. Ses démarches furent sans doute vaines, car les chercheurs les plus pugnaces perdent définitivement la trace de ce missionnaire hors série à partir de 1701. Nous ignorons la date et le lieu de son décès. Il est probable qu'il dut mourir dans son couvent romain, caressant jusqu'aux derniers jours de sa vie l'ambition de se faire reconnaître pour le premier Européen ayant descendu le Mississippi, des Grands Lacs au golfe du Mexique.
On peut imaginer qu'au moment de quitter ce monde décevant il confessa ses vantardises et sa lubie. À moins qu'au fil des années ses mensonges ne se soient imposés à son esprit comme vérité d'Évangile et qu'il ait emporté dans l'au-delà l'amère déconvenue des incompris et des persécutés. Personnalité complexe, imposteur avide de gloire, enclin à dominer, vaniteux comme un paon, le père Hennepin fut en revanche un prêtre sans faiblesses coupables et un missionnaire courageux. Aumônier lors de la sanglante bataille de Maastricht en 1673, il secourut les blessés et administra les derniers sacrements à de nombreux mourants, parmi lesquels figurait peut-être d'Artagnan. Prisonnier des Sioux, il se comporta dignement et ne parut jamais intéressé, au contraire d'autres missionnaires, par les biens temporels.
Le portrait du père Hennepin, que possède la Minnesota Historical Society, révèle un homme au visage long et maigre, aux traits dissymétriques et sévères. La bouche étroite, aux lèvres minces, le menton en galoche, fendu d'une fossette, le nez puissant et le regard noir sous de gros sourcils bruns excluent cette douceur évangélique que les peintres donnent volontiers aux
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