Au Pays Des Bayous
jeter sa cornette par-dessus les sassafras, en déduisait avec aplomb : « Il est clair que M. de Bienville n'a pas les qualités nécessaires pour gouverner la colonie. » Il ne semble pas que l'officier, sur lequel la religieuse romanesque avait jeté son dévolu, ait jamais eu l'intention d'épouser une sœur grise. M. de Boisbriant figurait en revanche parmi les adversaires résolus et indignés de La Vente. Il se montra toujours un fidèle défenseur de Bienville, ainsi qu'en font foi ses lettres à Pontchartrain.
Ce dernier, que les intrigues louisianaises commençaient à agacer et qui trouvait trop élevé le budget de quatre-vingt mille livres consacré, en pure perte, à la Louisiane en 1705, finit par prendre deux décisions : il destitua Nicolas de La Salle de ses fonctions et, le 23 juillet 1707, signa l'ordre de rappel de Bienville en France.
Bien que privé officiellement de sa charge, La Salle devait continuer à tenir les comptes tandis que La Vente conservait sa pauvre cure. Les deux principaux opposants à Bienville avaient trouvé à Paris, parmi les courtisans qui jugeaient coûteuse et inutile la colonisation de la Louisiane, des alliés efficaces.
La lettre de Pontchartrain dut les faire jubiler, car elle est dépourvue de toute aménité. « Sa Majesté ayant été instruite par plusieurs lettres écrites de la Louisiane que le sieur de Bienville qui y commande a prévariqué dans ses fonctions et qu'il s'est appliqué plusieurs effets appartenant à Sa Majesté, a enjoint au sieur de Muys, qu'elle a choisi pour gouverneur de ce pays, de vérifier les faits avancés contre lui suivant les mémoires qui lui sont remis, de le faire arrêter s'ils sont véritables et de l'envoyer prisonnier en France. » Le ministre de la Marine désignait également un nouveau commissaire ordonnateur, M. Martin Diron d'Artaguiette, ancien major des troupes de Nouvelle-France, devenu commissaire de la Marine. Ce dernier devait être plus spécialement chargé d'enquêter sur les agissements des frères Le Moyne et de mettre fin au désordre administratif de la colonie.
Bienville contre-attaque
Prévenu de son éventuelle disgrâce bien avant d'en avoir eu notification, Bienville, qui comptait aussi des amis à la cour, s'était empressé, dès février 1707, d'envoyer à Pontchartrain un long rapport sur l'état de la colonie et de demander l'autorisation de rentrer en France pour raison de santé. Faisant mine d'ignorer ce qu'on lui reprochait déjà, Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville exhalait des plaintes de nature à faire réfléchir les candidats au commandement de la Louisiane.
La colonie est à ce point dépourvue de ressources en vivres, explique Bienville, qu'il doit en emprunter aux Espagnols de Pensacola, non seulement pour assurer le ravitaillement de la garnison « mais encore pour les habitants qui n'ont pas pu faire d'habitations assez grandes pour pouvoir subsister d'eux-mêmes. Ils me représentent souvent leurs peines, écrit-il, parce qu'ils n'ont ni nègres ni bœufs pour apprêter leur terre, que ce pays est très malsain et qu'ils se trouvent malades dans des temps où ils désirent faire leurs semences ». En tant que représentant du roi, le commandant veut cependant se faire rassurant : « Je les assure que Votre Grandeur les secourra dans les besoins de leur établissement et que la guerre seule leur cause tout le mal qu'ils souffrent. L'espérance d'un avenir heureux les console. »
Après avoir avancé que ces difficultés d'approvisionnement sont dues au retard des vaisseaux envoyés de France, Bienville avoue qu'à cause du manque de matériaux et de main-d'œuvre il a dû différer la construction du fort des Chicassa.
La colonie vit aussi dans la crainte des Anglais, qui s'efforcent d'attirer les Alabama dans leur camp, de débaucher les Indiens alliés des Français, et aussi de maintenir avec les coureurs de bois canadiens, qui ont toujours des fourrures à vendre, des rapports commerciaux très préjudiciables aux affaires de la colonie.
Il faut ajouter à cela que le pays est loin d'être sûr. Dans cette même lettre du 20 février 1707, Bienville annonce au ministre qu'il vient d'apprendre « la mort de monsieur Jean-François Buisson de Saint-Cosme, missionnaire détaché, qui a été tué en descendant le Mississippi, ainsi que trois Français, par des Sauvages de la nation des Tchitimacha établis au sud du Mississippi ». Ce sont ces mêmes
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