Au Pays Des Bayous
avec femmes et enfants.
Bien que destitué, Bienville fut donc invité, en février 1708, à conserver ses fonctions de commandant de la colonie jusqu'à ce que le roi ait désigné un autre gouverneur et cela au grand dam de La Vente et de Nicolas de La Salle, qui ne désarmaient pas.
Jean-Baptiste déclara qu'il acceptait par devoir de rester à son poste et renonçait à profiter de l'autorisation qui lui avait été donnée de rentrer en France pour rétablir sa santé. Mais, dans une nouvelle lettre à Pontchartrain, le 25 février 1708, il renouvela ses considérations sur la pauvreté de la colonie que d'Artaguiette avait pu constater. « Les magasins du roi ne contiennent que des choses qui ne peuvent intéresser que les Sauvages », écrit Bienville avant de commenter : « Il y a bien, Monseigneur, à souffrir pour ceux qui se trouvent commandants dans ces temps de disette. On entend [sic] que murmurer tous les jours sur tout de mille besoins. » Contrairement à ce qu'on croyait en France, et à ce que certains croient encore, les hivers peuvent être froids en Louisiane. Les soldats du roi, démunis de couvertures et d'habits, se plaignaient alors comme les civils, ce qui ne pouvait manquer, pensait peut-être le commandant suspendu mais actif, d'émouvoir Sa Majesté. Enfin, il en profite, sans le citer nommément, pour régler son compte à La Vente dont il a déjà, dans une autre lettre, vainement demandé le rappel. « Je vous assure, Monseigneur, que les messieurs des Missions étrangères ne sont guère propres à la conversion des Sauvages et que bien loin de courir au martyre ils le fuient en abandonner leur mission. Au contraire il semble que cela les ranime, ils ne se dégoûtent jamais. » Comme le chirurgien de Mobile, dont les agissements avaient été dénoncés par La Salle, vient de mourir, Bienville ne juge pas utile en revanche de défendre sa mémoire : « Il était très ignorant, ivrogne et vendait les remèdes », concède-t-il simplement.
Les habitants de la colonie, émus par l'arrivée d'un nouveau commissaire ordonnateur, dont on ne savait dans quel camp il allait se ranger, s'étaient dépêchés de signer une pétition très élogieuse en faveur de leur commandant, par laquelle ils assuraient le ministre de la Marine de la valeur et de l'honnêteté de cet homme dont « ils étaient tous très contents… ». Les contre-feux étant allumés, Bienville invita M. d'Artaguiette à faire lui-même une enquête parmi les militaires et habitants de Mobile afin d'apprécier la valeur des accusations portées contre lui.
Le rapport de Diron d'Artaguiette, qui entendit au moins huit témoins dont les noms ont été conservés, Joseph et Jacques Chauvin, Jean-Baptiste Saucier, Guillaume Boutin, Jean-Baptiste La Loire, François Trudeau, Étienne Barel et René Boyer, fut tout à fait favorable à Bienville. M. d'Artaguiette assura le ministre que la plupart des gens interrogés disaient ne rien savoir de ce qu'on reprochait au commandant et que les critiques formulées à l'encontre de ce dernier étaient surtout des on-dit invérifiables. D'après certains, une dame, parente de Bienville, aurait vendu autrefois « dans sa maison et dans son magasin près de l'eau » toiles, chapeaux, chemises, souliers et autres effets ainsi que de l'eau-de-vie et de la poudre, mais ces vêtements et produits avaient appartenu à feu M. d'Iberville. Si M. de Bienville avait effectivement donné deux livres de poudre à un Sauvage, c'était pour le faire dire à ce dernier à qui il avait osé vendre un sabre appartenant à l'arsenal du roi. Si le rapporteur admettait également que le commandant avait parfois fait travailler pour son compte un ouvrier payé pour être au service du roi, il s'empressait d'ajouter que c'était en plein accord avec l'intéressé et qu'une telle pratique était courante dans les colonies où l'on ne disposait pas toujours de professionnels qualifiés !
Les hauts fonctionnaires d'aujourd'hui n'agissent pas autrement, qui font accompagner leurs enfants à l'école, promener le toutou de leur femme et même, quelquefois, repeindre leur appartement par le chauffeur ou le coursier que l'administration ne met théoriquement à leur service que dans l'exercice de leur fonction !
Quant à l'observation formulée par La Vente, suivant laquelle M. de Bienville « aurait affiché une familiarité trop grande avec une femme qui scandalisait toute la
Weitere Kostenlose Bücher