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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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et vivent en concubinage avec des Indiennes. Le commissaire ordonnateur stigmatise également la conduite du chirurgien de la colonie, un certain Barrot, lequel ignore tout de son art, s'enivre et fait commerce à son profit des remèdes fournis par le gouvernement. Enfin La Salle ne manque pas d'attirer l'attention sur son propre cas. Les six cents livres par an qu'il touche, d'ailleurs très irrégulièrement, ne lui permettant pas de se payer un domestique, il doit jardiner lui-même pour nourrir sa famille. M. de Bienville, soucieux du prestige attaché aux fonctions, trouve cela très regrettable et ne craint pas de le dire avec hauteur, sans pour autant donner au père de famille les moyens de tenir son rang.
    Comme La Salle avait dû se concerter avec ceux que l'autoritaire Bienville tenait à l'écart des affaires, le curé de Mobile, Henry Roulleaux de La Vente, qui, faisant fi de l'humilité chrétienne, rêvait de se constituer une seigneurie très temporelle au pays des Natchez, écrivit, lui aussi, au ministre pour se plaindre du commandant.
    Prêtre du diocèse de Bayeux, La Vente était arrivé en Louisiane en 1704. Annoncé par ses supérieurs comme prédicateur réputé et travailleur, peut-être s'attendait-il à trouver dans la colonie un accueil complaisant et les meilleures conditions pour exercer avec panache son ministère. Or M. de Bienville l'avait reçu comme un missionnaire ordinaire et n'avait pris aucune disposition particulière pour faciliter son installation. Les Missions étrangères, dont dépendait le religieux, ne lui accordaient par an que mille livres. Cette somme lui parvenait quand un bateau effectuait la traversée de La Rochelle à la Mobile, ce qui n'arrivait pas chaque année. Le curé estimait d'ailleurs ses émoluments d'autant plus insuffisants que la dîme, qu'il aurait dû percevoir, ne produisait que des sommes dérisoires étant donné le petit nombre de paroissiens et le manque de ressources de la plupart d'entre eux. Il faut savoir que Bienville, le mieux payé de la colonie, recevait alors mille deux cents livres par an, les ouvriers trente livres par mois. Le simple soldat, que le roi était censé loger, nourrir et habiller, ne touchait, lui, que dix-huit livres par an. Or les prix des quelques marchandises vendues dans la colonie étaient doubles de ceux pratiqués en métropole.
    La Vente, à qui le ministre de la Marine avait déjà refusé une dotation en nature, ne pouvait obtenir les crédits nécessaires à la construction d'un presbytère. Il avait dû, à l'arrivée, se contenter d'une maison délabrée qui avait été emportée quelques semaines plus tard par un ouragan. Depuis, il occupait une modeste demeure qu'il n'avait pas les moyens d'acquérir, au bord de la rivière. Il avait même été obligé, suprême humiliation pour un membre du clergé séculier, d'emprunter de l'argent au père Marest, l'aumônier jésuite du fort Louis !
    De surcroît, Bienville, qui manifestement préférait les jésuites aux prêtres des Missions étrangères, ne paraissait guère pressé de faire construire l'église qu'attendaient les fidèles de Mobile. Il considérait sans doute que la chapelle du fort suffisait aux dévotions. Pour toutes ces raisons et quelques autres, le missionnaire s'était donc rangé du côté de La Salle en proclamant qu'il se faisait fort d'obtenir le rappel de M. de Bienville. Or ce dernier, qui avait d'autres soucis, dédaignait de répondre à ce genre de propos, ce qui exaspérait ses adversaires.
    Étant donné la rareté des communications, les rapports des uns et les comptes rendus des autres avaient perdu toute actualité, et donc toute saveur, quand ils arrivaient à Versailles, sur le bureau du ministre de la Marine, des mois après avoir été rédigés. C'est ce qui explique que la querelle amorcée en 1706 ait pu se développer pendant plusieurs années, divisant la population de la colonie en deux clans.
    Périodiquement, le curé et ses supporters d'une part, Bienville, les officiers et les Canadiens d'autre part, reçurent des appuis. Pour La Vente et ses amis, ceux-ci furent parfois inattendus, telle cette lettre à Pontchartrain envoyée par une religieuse qui, ayant accompagné en Louisiane le premier contingent de filles à marier, reprochait à Bienville d'avoir découragé M. Pierre Dugué de Boisbriant, major de Mobile, de demander sa main ! Cette nonne, effrontée ou privée d'affection, mais prête à

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