Au Pays Des Bayous
bâtiments qu'il construira, aura, de surcroît, le droit d'exploiter les mines qui sont censées exister près de la rivière Ouabache, dans le pays des Illinois et des Sioux, à condition de verser au roi un quart du produit des extractions. En attendant ces rentrées aléatoires, le roi versera au concessionnaire cinquante mille livres pour l'entretien d'une garnison. Quant aux denrées et marchandises que la compagnie, dite de Louisiane, expédiera dans la colonie devenue son domaine, elles seront exemptées de droits de sortie, tandis que les productions du territoire : tabac, soie, indigo, laine et fourrure, seront vendues à qui paraîtra bon acheteur.
Pour constituer cette compagnie de commerce, dont le capital initial ne dépassa pas sept cent mille livres, Crozat fit appel à quelques associés et La Mothe-Cadillac devint l'un d'eux. Le Gascon imaginait enfin pouvoir gagner de l'argent et connaître les honneurs. C'est peut-être pour le récompenser de son intervention auprès de Crozat que Pontchartrain le nomma gouverneur de Louisiane. Il semble qu'il fut le premier à porter officiellement ce titre. Dans le même temps, le ministre désigna un nouvel ordonnateur pour la colonie, Jean-Baptiste Dubois-Duclos, que la plupart des historiens nomment Duclos, alors que l'intéressé signait parfois du Bois du Clos ! Ce commissaire de la marine, en poste à Dunkerque, plein de bonne volonté et scrupuleux mais dépourvu d'expérience, s'embarqua pour la Louisiane sans rien savoir de la vie et des intrigues coloniales.
Un traité de paix ayant enfin été signé, à Utrecht, le 11 avril 1713, on put envisager de consacrer aux colonies plus d'hommes et plus de bateaux, à défaut de disposer de plus d'argent. Comme le peuplement de la colonie – la peuplade, comme l'on disait alors – est de la responsabilité du roi et que les experts considèrent que l'envoi et l'établissement d'un colon en Louisiane coûte environ deux cents livres, Antoine Crozat ne manqua pas de suggérer la création d'un fonds d'émigration qui aurait été alimenté soit par une loterie spéciale, soit par un prélèvement de trois pour cent sur les profits des loteries existantes. Le principe n'ayant pas été admis par le contrôleur général des Finances, Nicolas Desmarets, on dut se satisfaire des candidats à l'émigration, qui eussent été plus nombreux si l'exil colonial leur eût paru plus prometteur et, dans un premier temps, plus lucratif.
On pouvait penser que les militaires licenciés des armées royales, que les familles rendues misérables par la longue guerre, que les artisans sans travail se précipiteraient dans les bureaux de M. Crozat, un patron qui inspirait confiance, afin de s'engager pour la Louisiane. Il n'en fut rien, malgré la propagande bien orchestrée par les collaborateurs du financier. Pontchartrain, qui proposait aux démobilisés de s'installer aux meilleures conditions dans les colonies, fut lui aussi déçu par le peu d'empressement des sans-emploi à répondre à ses offres. Les Français, même malheureux chez eux, ne montraient déjà aucun goût pour l'expatriation. À la fin de l'année 1712, quand les gazettes publièrent les lettres patentes accordées à Antoine Crozat et les projets de ce dernier, on ne vit se présenter, en tout et pour tout, qu'une cinquantaine de personnes, dont des Flamands, décidées à se faire colons. Il fallut pour renforcer la garnison louisianaise que le ministre désignât des volontaires, ce qui fut, de tout temps, le meilleur mode de recrutement !
On mit un peu plus d'empressement, semble-t-il, à trouver des épouses pour les célibataires établis en Louisiane. Ces derniers, s'ils trouvaient auprès des jolies Indiennes Choctaw tendresse et plaisir, entendaient aussi fonder des familles et avoir des enfants qui ne soient pas tous mulâtres !
Les fiancées du Nouveau Monde
Pour satisfaire à la demande matrimoniale de la colonie, Charles de Clairambault, commissaire de la Marine et ordonnateur de Port-Louis, fut chargé, en janvier 1713, de recruter dans les hôpitaux d'Auray, d'Hennebont et de Quimperlé des jeunes filles de seize à vingt ans qu'on enverrait en Louisiane assurer la « peuplade » de la colonie. Elles seraient embarquées sur le Baron-de-La-Fauche et accompagnées par des religieuses de la Sagesse, communément appelées sœurs grises.
Les hospices ayant fait des difficultés pour fournir les trousseaux des « fiancées
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