Au Pays Des Bayous
coloniales », Clairambault dut se contenter de jeunes demoiselles prises dans les familles pauvres de Lorient. Plus que les orphelines des hospices, ces filles du peuple virent, dans l'exil aventureux et romanesque qu'on leur proposait, non seulement la possibilité de trouver un mari, mais aussi le moyen de sortir de la misère et de se faire une position sociale. Elles prirent le même bateau, commandé par M. de La Jonquière, que le gouverneur La Mothe-Cadillac qu'accompagnaient sa femme, l'ordonnateur Duclos et M. de Maleffoë, écrivain et greffier du Conseil de la colonie. Apprenant cet envoi de jeunes filles, Pontchartrain, à qui les colons de Louisiane réclamaient depuis longtemps des femmes, écrivit à Clairambault le 27 janvier 1713 : « J'ai été bien aise d'apprendre que vous avez fait préparer les douze filles qui doivent être envoyées à la Louisiane ; vous avez très bien fait de les choisir dans les familles de Lorient plutôt que de les prendre dans les hôpitaux, cela vaut beaucoup mieux, parce que vous les connaissez par vous-même d'une bonne conduite 3 . »
Il semble que le voyage ne fut pas exempt de surprises pour les douze Lorientaises qui débarquèrent, le 17 mai 1713, à l'île Dauphine, où se dressaient une vingtaine de maisons d'aspect sordide. Dans un long rapport au ministre de la Marine, le 26 octobre 1713, le gouverneur La Mothe-Cadillac explique : « Quant aux douze filles embarquées pour la Louisiane, Mme La Mothe en a eu soin mais a été obligée de quitter la partie par les déboires que lui ont faits le capitaine du vaisseau et principalement M. de Richebourg, capitaine réformé, avec M. Verdier, commis du vaisseau faisant les fonctions d'enseigne. » D'après le gouverneur, Richebourg, « qui a été capitaine de dragons », se serait livré à toute sorte de débordements. « Il a séduit la fille de chambre de ma femme et l'a fait débarquer au Cap 4 , où elle est restée », se plaint La Mothe-Cadillac. Poursuivant le capitaine Richebourg de ses foudres, le gouverneur ajoute : « On m'a affirmé qu'il a épousé deux femmes, l'une de Niort, l'autre de Paris qui s'appelle à ce qu'on dit la Belle Rôtisseuse ! Il en a débauché chez des amis encore une autre qu'il a fait déguiser en dragon pour l'emmener à l'armée. Pendant toute la traversée il a donné très mauvais exemple. »
On ne devait pas s'ennuyer à bord du Baron-de-La-Fauche ! Que faisaient, pendant ce temps-là, les sœurs grises chargées de veiller sur la vertu des jeunes Lorientaises ? Le rapporteur ne le dit pas ! En revanche, les phrases calligraphiées par le gouverneur permettent d'imaginer que les demoiselles ne sont pas arrivées en Louisiane telles qu'elles étaient parties de Lorient ! « C'est la raison par laquelle les filles amenées de France ne trouvent pas à se marier à cause de quelques Canadiens qui étaient dans le vaisseau et qui, étant témoins de ce qu'il s'y est passé à leur vue, en ont mal parlé d'abord qu'ils ont débarqué. » C'est un fait que, six mois après leur arrivée en Louisiane, deux jeunes Lorientaises seulement, sur douze, ont été demandées en mariage. Une est morte des fièvres et l'on doit nourrir avec des rations militaires les neuf qui restent logées chez l'habitant. « Elles sont pauvres, n'ont ni linge ni vêtements… ni beauté et l'on craint qu'elles ne se prostituent pour vivre. » Et M. de La Mothe-Cadillac, gentilhomme outrecuidant mais sans malice, de conclure son rapport au ministre par cette suggestion qui ne semble pas de nature à concourir efficacement au peuplement de la colonie : « Je crois qu'il serait plus à propos d'envoyer des garçons, ou plutôt des matelots, parce qu'on pourrait s'en servir utilement. »
Un pays malsain
Tandis que se préparait en France, sous l'égide d'Antoine Crozat, une réorganisation de la colonie, sur place, Bienville et d'Artaguiette avaient reconnu l'insalubrité du site choisi autrefois par Iberville pour fonder une ville sur la rive de la Mobile.
Situé dans une zone inondable, l'établissement avait été plusieurs fois dévasté et les maigres récoltes attendues compromises. De surcroît, on y mourait beaucoup, l'été, des fièvres contractées dans la moiteur étouffante de l'air et, en toute saison, de maux divers, souvent provoqués par l'absorption d'une eau à demi saumâtre au goût de vase. Même les Franco-Canadiens les plus endurcis et
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