Au Pays Des Bayous
d'accroître son influence dans les échanges internationaux.
Les Crozat venaient du Languedoc. Le premier qui s'établit à Paris était cocher de son état, débrouillard et, d'après les chroniqueurs, « intelligent et de figure avenante ». Il épousa la fille du bedeau de Saint-Gervais, qui lui apporta cent mille livres, ce qui lui permit d'amorcer, à Toulouse, une fortune dans la banque. Devenu veuf, il convola avec une demoiselle de bonne famille, Catherine de Saporta, qui lui donna deux fils : Antoine, en 1655, et Pierre, en 1665. Deux fois promu capitoul, en 1674 et 1684, le banquier vit ses affaires prospérer. Le capitoulat étant fonction anoblissante, l'ancien cocher acquit des terres, le château de La Fauche et se fit hobereau. Le self-made man légua ainsi à ses fils une belle fortune et une habileté dans les affaires dont l'aîné, qui nous intéresse plus que le cadet, allait faire son profit.
Antoine avait été mis à bonne école, d'abord comme laquais, affirmaient ses détracteurs envieux, chez le trésorier du clergé et des états de Languedoc, Pierre-Louis Reich de Pennautier, dont Saint-Simon dit : « C'était un grand homme, très-bien fait, fort galant et fort magnifique, respectueux et très obligeant. » Malgré toutes ces qualités, ce gentilhomme fut mis en cause dans l'affaire des poisons. On lui reprochait ses relations avec la Brinvilliers, ce qui fit supposer qu'il avait donné de la « poudre de succession » à son beau-père et aidé son prédécesseur, en charge des finances du clergé, Hanyvel de Saint-Laurent, à mourir. Pennautier, comme trois cent soixante-six autres personnes citées à comparaître par le lieutenant de police La Reynie, fut, un moment, « mis en prison avec grand danger de sa vie », précise Saint-Simon. Il échappa à l'échafaud de la place de Grève grâce à de nombreuses interventions, dont celles de Colbert et du cardinal de Bonzi, président des états de Languedoc.
Antoine Crozat, alors petit caissier, devint, du fait des circonstances, l'homme de confiance de Pennautier, dont la réputation émergea tout de même un peu ternie de l'enquête sur les poisons. L'élève finit par partager les bénéfices des charges fort lucratives du maître. Les profits qu'il en tira et l'héritage paternel lui permirent d'ouvrir sa propre banque à Montpellier, tandis que son frère Pierre se lançait à son tour dans les affaires et y réussissait assez pour commencer une collection d'estampes qu'il cueillit à travers l'Europe tout au long de sa vie.
Les Crozat, par l'intermédiaire de la banque protestante, entretenaient des relations suivies avec les financiers de Genève, de Francfort, de Gênes, des pays baltes et nordiques. Ils commencèrent à spéculer sur les changes, ce qui est toujours d'un bon rapport pour les initiés. Antoine, chargé de collecter les fonds nécessaires à la poursuite, très onéreuse, de la guerre de Succession d'Espagne, fut bientôt introduit à la cour, mis en contact avec les ministres puis avec le roi, qui n'hésita pas à lui emprunter de l'argent. Entre-temps, les frères Crozat avaient pris le contrôle du port de Sète et des compagnies méditerranéennes créées par Colbert.
Estimant que le mariage devait être traité comme une affaire, Antoine avait épousé, en 1960, Marguerite Le Gendre, fille du fermier général et riche banquier, ce qui lui avait apporté, en plus d'une belle dot, le marquisat du Châtel et la baronnie de Thiers. Nommé receveur général des Finances de Bordeaux, trésorier de l'Extraordinaire des guerres à Paris, intendant de Louis-Joseph, duc de Vendôme, qui, pour honorer ses dettes, dut vendre son hôtel au roi, Antoine Crozat obtint encore les postes, enviés et fort lucratifs, de receveur général du clergé et trésorier de l'ordre du Saint-Esprit.
Conseiller financier et banquier de Louis XIV, il pouvait se dire l'un des hommes les plus riches et les plus influents de France, même si la noblesse protesta ouvertement quand le roi le fit chevalier du Saint-Esprit. Saint-Simon relève avec malice l'incident : « […] le roi avait fait, surtout en 1688, bien des chevaliers de l'ordre plus étranges encore en leur genre, dont on avait crié, mais jamais au point qu'on le fit sur le cordon bleu de Crozat. »
Les parvenus de cette époque pouvaient sans complexe étaler aux yeux du peuple les signes extérieurs de richesses rapidement acquises et Antoine Crozat,
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