Au Pays Des Bayous
abrité.
L'île Dauphine, aujourd'hui fréquentée par les pêcheurs de truites de mer, rougets grondins, mulets et carrelets, affecte la forme d'un têtard à queue démesurée. Elle fait partie d'un archipel aligné parallèlement à la côte, d'est en ouest, entre l'embouchure de la Mobile et le delta du Mississippi. Elle s'étire sur une vingtaine de kilomètres. Elle fut le siège, au XVIII e siècle, du premier établissement français du littoral.
Cette île où, en 1699, avaient débarqué les marins d'Iberville était depuis lors habitée. Une vingtaine de familles de colons y avaient élu domicile en 1706. Un négociant canadien, Jean-Baptiste Baudreau, dit Graveline, y avait même construit une assez belle maison ; un Rochelais y tenait cabaret et un Parisien, Étienne Burel, espérait bien, un jour ou l'autre, pouvoir exercer, quand la clientèle serait suffisamment nombreuse, son métier de pâtissier. Grâce aux fonds envoyés par M. de Rémonville, à l'époque où ce dernier pensait obtenir le monopole du commerce en Louisiane, la petite communauté envisageait, au moment où la compagnie de Crozat prit en charge le destin de la colonie, de construire une chapelle. En attendant l'arrivée d'autres émigrants et en espérant de bonnes récoltes, les îliens subsistaient, tant bien que mal, grâce à la pêche, et s'efforçaient de mettre en culture le sol sablonneux. Les ressources étant maigres et les récoltes aussi aléatoires que l'arrivée de bateaux ravitailleurs, ces pionniers avaient pris l'habitude de faire appel, en période de disette, aux Espagnols de Pensacola, à peine mieux lotis qu'eux. La réciprocité des secours était confiante et organisée entre gens éprouvant les mêmes difficultés. Les ressortissants des nations colonialistes rivales échangeaient facilement vivres, munitions, guides et chasseurs indiens. Il arrivait même que l'on se louât des artisans qualifiés et que l'on se déléguât des prêtres quand l'une des colonies en manquait. En revanche, les soldats déserteurs des deux camps, qui pensaient trouver chez l'étranger ce qui faisait défaut chez eux, étaient renvoyés sans ménagement, par les uns et les autres, à leur armée d'origine !
Quand le gouverneur La Mothe-Cadillac, à qui l'on avait attribué une concession de « cinq lieues de front et autant en profondeur 6 », débarqua à Port-Dauphin, il fut déçu de ne pas y trouver les ressources et le confort qu'il avait connus à Québec. Il reprit aussitôt, pour exprimer sa désillusion, le ton dénigreur qu'il n'avait abandonné à Paris que le temps nécessaire pour amadouer Crozat. « Terres très mauvaises entrecoupées de cédrières et de pinières, fond sableux qui ne produit rien, si bien qu'en cinq lieues de terrain on ne trouve qu'une lieue fertile. » Le climat lui déplut autant que le décor : « Le ciel a des fantaisies, il fait beau le matin, il tonne à midi, il pleut et il grêle ensuite. » Avant de s'installer au nouveau fort de Mobile, le Gascon fit l'inventaire de son domaine et adressa à Pontchartrain un mémoire dont certains extraits donnent une idée assez juste de la contrée et de l'ambiance coloniale du moment.
Après avoir constaté : « Les maisons sont construites sur le sable que le vent emporte comme de la poussière », et compté « neuf familles établies plus quelques garçons », il rapporte avec ironie : « J'ai vu aussi un jardin sur l'île Dauphine dont on m'avait parlé comme d'un paradis terrestre. Il est vrai qu'il y a une douzaine de figuiers qui sont fort beaux et qui produisent des figues noires. J'y ai vu trois poiriers, trois pommiers, un petit prunier d'environ trois pieds de haut qui avait sept mauvaises prunes, environ trente pieds de vigne avec neuf grappes de raisin en tout, une partie des grains pourris ou secs et les autres un peu mûrs, environ quarante pieds de melons français, quelques citronnelles, voilà le paradis terrestre de M. d'Artaguiette et de plusieurs autres, la Pomone de Raidmonville [sic] et les îles fortunées de M. Marigny de Mandeville et de M. Philippe. Leurs mémoires et leurs relations sont de pures fables. Ils ont parlé de ce qu'ils n'ont point vu ou ils ont trop facilement cru ce qu'on leur a dit. Le froment ne vient point dans tout ce continent. Ceux qui ont informé la Cour que quelques habitants en ont semé sur les terres qui sont vers le lac Pontchartrain se sont trompés. J'ai parlé à
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