Au Pays Des Bayous
pouvaient regimber. Sa mauvaise humeur, devenue aussi pathologique que sa vanité, lui valait, des Grands Lacs au golfe du Mexique, la réputation détestable de mauvais coucheur.
Bienville et d'Artaguiette, qui ne pensaient qu'à tenir à distance cet olibrius, ignoraient sans doute les relations confiantes et suivies que La Mothe-Cadillac entretenait avec le duc de Lauzun, son protecteur.
Cet ancien cadet de Gascogne, capricieux et téméraire, dont l'originalité, la fantaisie, la nonchalance, l'esprit cruel, la hardiesse et la courtisanerie industrieuse inspirèrent La Bruyère 1 , avait connu des fortunes diverses. Passionnément aimé de Mlle de Montpensier, qu'il aurait pu épouser beaucoup plus tôt et moins secrètement qu'il ne fit, il avait été interné à la Bastille pour s'être caché sous le lit de la Montespan pendant un cinq à sept du roi afin de connaître les sentiments du monarque à son égard ! Pardonné mais incorrigible, il avait été encore emprisonné pendant dix ans à Pignerol, pour insolence et magnificence exagérée. Tiré de sa prison à prix d'héritage par Mlle de Montpensier l'année où Cavelier de La Salle prenait possession de la Louisiane, il était rentré en grâce en 1688, après avoir ramené en France l'épouse de Jacques II et le prince de Galles, quand le Stuart catholique avait été chassé du trône par Guillaume d'Orange. Rétabli auprès de Louis XIV dans ses anciens privilèges de favori persifleur, cet octogénaire fortuné soutenait La Mothe-Cadillac et ne cessait de recommander l'officier, gascon comme lui, à Pontchartrain.
Appelé en France pour recevoir des instructions, le commandant de Détroit prit le temps d'aller visiter son domaine familial toujours aussi désolé et c'est lorsqu'il regagna Paris que lui fut signifiée une mission diplomatique de première importance : le ministre de la Marine chargeait M. de La Mothe-Cadillac, auquel sa grande expérience des colonies d'Amérique donnait de l'autorité, de convaincre le financier qui passait pour l'homme le plus riche de France de prendre en main l'exploitation de la Louisiane.
Ainsi, Pontchartrain s'était décidé à accorder à d'autres ce qu'il avait refusé à Rémonville, parce que les finances nationales exsangues et le peu d'empressement des armateurs et négociants à investir en Louisiane ne permettaient plus au roi d'envisager le développement d'une colonie dont l'importance stratégique paraissait de plus en plus évidente. Si l'on comprend aisément que le ministre ait jeté son dévolu sur le richissime Antoine Crozat, on peut s'étonner qu'il ait choisi, pour approcher l'homme d'affaires et le persuader d'investir en Louisiane, celui qui décriait partout la colonie et ne lui accordait aucun avenir !
Les Pontchartrain, père et fils, avaient uni leurs efforts pour convaincre Louis XIV de confier l'exploitation du domaine américain, qui portait un si joli nom dérivé de son illustre prénom, à un gestionnaire ayant l'expérience des entreprises coloniales et disposant de capitaux importants. Il ne restait plus à M. de La Mothe-Cadillac qu'à changer radicalement d'opinion sur la Louisiane, à oublier ses ressentiments contre « un pays pestiféré et misérable », à en vanter au contraire allégrement les charmes, les avantages et surtout à en révéler les richesses cachées, afin d'amener Antoine Crozat à se lancer dans l'aventure coloniale la plus hasardeuse qui fût.
L'homme auquel on s'adresse est une des plus grosses fortunes de France. Conseiller financier du roi, expert en matière de commerce maritime, il a fait la preuve de son habileté en affaires. Les mauvaises langues dirent plus tard que le souverain, alors son débiteur, lui avait un peu forcé la main et que La Mothe-Cadillac n'avait été qu'un consultant, habile à faire valoir les ressources minières supposées de la Louisiane, de nature à séduire un investisseur glouton.
Quand on sait la boulimie affairiste, l'âpreté au gain, la vanité du baron de La Fauche (que l'argot d'aujourd'hui semble, a posteriori , si judicieusement titrer !), on peut se demander si le délégué de Louis XIV eut beaucoup à insister. Crozat, qui possédait la Compagnie de Saint-Domingue et la Compagnie de Guinée, cette dernière jouissant du monopole de l'importation des esclaves dans les colonies espagnoles, ne pouvait manquer d'étudier une offre qui lui permettrait d'agrandir son domaine et
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