Au Pays Des Bayous
l'officier apprit que les Indiens avaient encore tué un Français, qui descendait du pays des Illinois, et qu'ils se tenaient en embuscade pour attendre, sur le lieu même de ce crime, une troupe de quinze Canadiens. Le père Davion, très apprécié des Tunica, avait, comme tous les missionnaires, ses informateurs. Il révéla à Bienville que les Natchez ne donnaient, dans leurs villages, aucune publicité à ces meurtres qu'ils croyaient ignorés des Français, mais qu'ils avaient fait des cadeaux aux Tunica pour s'assurer leur discret concours, afin que ces derniers interceptent et tuent ceux qui seraient en route pour leur demander des comptes. Bienville, dont le sang-froid était exemplaire, se conduisit avec les Tunica comme s'il ignorait tout de leurs intentions homicides. Il fuma le calumet et expliqua qu'il se rendait au pays des Natchez pour installer un magasin où les Indiens pourraient troquer leurs pelleteries contre des objets venus de France. Il demanda même au cacique local d'envoyer un messager chez les Natchez pour annoncer son arrivée. Mais, au lieu de camper dans le village des Tunica, comme il y était invité, il conduisit sa troupe à une demi-lieue de là et prit ses quartiers sur un îlot du Mississippi, qu'il fit immédiatement fortifier. Quand un enclos sûr fut établi, il fit construire trois baraques, une pour abriter les vivres et les munitions, une pour servir de corps de garde et une troisième destinée à l'incarcération d'éventuels prisonniers.
Quarante-huit heures plus tard, trois Natchez se présentèrent au camp, proposant avec le sourire leur calumet décoré. Bienville autorisa ses soldats à fumer mais refusa, quant à lui, de tirer une seule bouffée. Étant le grand chef de la troupe française, il ne pouvait fumer, expliqua-t-il, que des calumets présentés par les chefs de la nation. Quand les Indiens furent restaurés, Bienville les renvoya chez eux, accompagnés d'un de ses hommes qui parlait algonkin, avec mission d'expliquer que les Français construiraient leur établissement chez les Tunica si les Natchez n'en voulaient pas. C'était un bon moyen d'éveiller la convoitise des caciques et de titiller leur vanité. Dans le même temps, le lieutenant du roi désigna le plus débrouillard des Canadiens qu'il dépêcha, à bord d'une pirogue, avec un Illinois, pour placarder à certains endroits des berges, par où passaient tous les voyageurs, des panneaux sur lesquels était annoncé en grandes lettres : « Les Natchez ont déclaré la guerre aux Français. M. de Bienville est campé aux Tunica. » L'afficheur devrait aussi dépasser pendant la nuit, sans se faire remarquer, les villages des Natchez, pour aller au-devant des quinze Canadiens attendus par les Indiens et inviter les voyageurs à changer d'itinéraire.
Malgré ces précautions, Bienville vit arriver, quelques jours plus tard, six Canadiens à bord de trois canots chargés de pelleterie, de viande fumée et de graisse d'ours. Ceux-ci étaient encore tout étonnés de l'aventure qu'ils venaient de vivre. Interceptés sans douceur par des guerriers, ils avaient été, dans un premier temps, dépouillés de tous leurs biens et emprisonnés. Mais le lendemain, alors qu'ils s'attendaient au pire, et aussi soudainement qu'ils avaient été arrêtés, un chef leur avait fait restituer leurs armes, leurs pirogues et toutes les marchandises qu'ils transportaient, en même temps que la liberté. En s'excusant, les Natchez leur avaient aimablement indiqué que M. de Bienville campait chez les Tunica.
L'affichage donnait à réfléchir aux caciques et, comme Bienville faisait mener grand train, derrière les palissades du camp insulaire, aux cinquante soldats ou matelots français, les Tunica, qui devaient espionner pour le compte des Natchez, pouvaient penser qu'une véritable armée était à l'exercice. Le fait que les Français imputassent clairement et publiquement aux Natchez la responsabilité d'une guerre que ces derniers auraient voulu mener sournoisement sans la déclarer obligeait les chefs indiens à rechercher une honorable issue à un conflit mal engagé.
Les Natchez crurent bientôt avoir trouvé l'échappatoire puisque, le 8 mai, ils envoyèrent quatre pirogues « dans lesquelles il y avait huit hommes debout qui chantaient le calumet, et trois hommes dans chaque pirogue qui étaient assis sous des parasols, douze qui nageaient, et deux interprètes français ». Les grands chefs
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