Au Pays Des Bayous
Rosalie.
Le 8 juin, les Natchez, heureux de s'en tirer à si bon compte, rentrèrent chez eux, sauf Serpent-Piqué, que Bienville retint comme otage. « Le 9 on fit casser la tête aux deux guerriers » encore détenus et M. de Bienville, assez satisfait d'avoir évité une vraie guerre, dont les Français ne seraient peut-être pas sortis vainqueurs, et d'avoir fait rapide et bonne justice, reprit le chemin de Mobile. Son absence avait duré neuf mois pendant lesquels la France avait connu des événements qui n'étaient pas sans influencer la situation en Louisiane.
À son arrivée, Bienville apprit d'abord que Louis XIV était mort le 1 er septembre de l'année précédente, dans la soixante-douzième année de son règne, ce qui constituait un record, et que le duc d'Orléans assumait la régence du royaume en attendant que Louis le quinzième, arrière-petit-fils du Roi-Soleil, âgé de cinq ans, puisse prendre en main les destinées de la monarchie. On lui annonça aussi que Pontchartrain n'était plus ministre et que les ministères eux-mêmes avaient été remplacés par des conseils d'État. Les affaires de Louisiane et de toutes les colonies dépendaient désormais du conseil de Marine et du conseil de Commerce.
Un volumineux courrier du tout nouveau conseil de Marine, apporté quelques jours plus tôt par la Paix , brigantin de la compagnie de Crozat, attendait Bienville et lui réservait d'autres surprises. Le paquet contenait, entre autres documents, un ordre du Régent conférant à M. de Bienville, lieutenant du roi en Louisiane, le commandement en chef de la colonie jusqu'à l'arrivée d'un nouveau gouverneur, M. Jean Michiele de Lépinay, seigneur de La Longueville, lieutenant de vaisseau ayant servi dans l'administration du Canada, qu'accompagnerait un nouveau commissaire ordonnateur issu de la marine, M. Marc-Antoine Hubert.
Une lettre expliquait, en peu de mots, la décision. « Messieurs de La Mothe-Cadillac et Duclos, qui ont des caractères incompatibles, sans avoir l'intelligence nécessaire à leurs fonctions, sont révoqués et remplacés. » Ainsi, Bienville était débarrassé d'un gouverneur avec lequel il n'aurait jamais pu s'entendre et qui, par ses récriminations incessantes et son incompétence, avait irrité tout le monde, y compris son associé Antoine Crozat. Ce dernier était un des artisans de son éviction. N'avait-il pas fait savoir au conseil, dès le 11 février 1716 : « Il faut des gens sages pour gouverner la colonie et les dirigeants actuels ne sont pas satisfaisants. On représente que le sieur de La Mothe-Cadillac, qui en est présentement le gouverneur, et le sieur Duclos, qui en est commissaire ordonnateur, ont des caractères bien opposés aux qualités que l'on désire dans les principaux officiers des nouvelles colonies. Outre qu'ils n'ont pas toute l'intelligence qui serait nécessaire, ils ne sont occupés que de leur intérêt particulier et traversent en toutes rencontres les vœux de la compagnie et les projets d'établissement qu'elle fait. On demande qu'ils soient révoqués et qu'il en soit envoyé de plus capables. » Et M. Crozat de conclure : « Je suis d'opinion que tous les désordres dont M. de La Mothe se plaint dans la colonie proviennent de la mauvaise administration de M. de La Mothe lui-même. »
Ces nouvelles, pour intéressantes qu'elles fussent, constituaient aussi pour Bienville une déception. Il avait toujours espéré devenir gouverneur de la Louisiane, conscient qu'il était d'avoir acquis par sa longue expérience coloniale et par ses mérites le droit de prétendre à ce poste. Mais, à Paris, l'affaire des prises de l'île Nieves, où l'on avait mis en doute la probité d'Iberville et de ses frères, n'était toujours pas éclaircie et Bienville souffrait de ce contentieux. Pontchartrain lui-même avait parfois fait preuve de défiance vis-à-vis de son protégé. Quant à Crozat, il n'avait guère apprécié les critiques que formulait l'officier sur les méthodes commerciales de la compagnie qu'il dirigeait. Le conseil de Marine, sans entrer dans les vues du financier ni tenir rigueur à Bienville de vieilles histoires de comptabilité, reconnaissait la valeur et les qualités du soldat, mais ne faisait pas confiance à ses pratiques administratives. En confirmant enfin, pour tous les Le Moyne, les lettres de noblesse que leur père, Charles Le Moyne de Longueuil, n'avait pu faire de son vivant enregistrer
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