Au Pays Des Bayous
indiens avaient cru bon de se déranger pour apporter en grande pompe le calumet à fumer au chef des Français. Bienville avait fait tendre des voiles sur des piquets pour multiplier les tentes du camp censées abriter une troupe nombreuse, et cacher, le fusil à la main, la moitié de ses soldats. Il fit désarmer par les autres tous les Indiens qui mirent pied à terre et n'accepta de recevoir que huit chefs qu'il connaissait par leur nom. Ayant repoussé avec hauteur les calumets que ces derniers lui présentaient, il leur demanda brutalement comment ils comptaient expier l'assassinat de cinq Français. Comme les Natchez, désorientés, ne savaient que répondre, Bienville fit un signe à ses soldats. En un instant, les Indiens se trouvèrent enchaînés et jetés dans la prison toute neuve du camp.
À la tombée de la nuit, le lieutenant du roi fit extraire de la geôle trois frères, qui étaient les chefs les plus représentatifs, Grand-Soleil, Serpent-Piqué et Petit-Soleil. Comme ils paraissaient terrorisés, Bienville expliqua qu'il n'imaginait pas qu'ils eussent pu donner ordre eux-mêmes de tuer des Français, mais qu'il attendait d'eux qu'ils lui fassent parvenir les têtes des assassins, non seulement les scalps mais les têtes « car je veux les reconnaître ! » précisa-t-il. Après avoir rappelé aux Indiens que, dix ans plus tôt, quatre cents familles de Tchioumachaqui avaient été anéanties parce que la tribu avait refusé de livrer aux Français les assassins d'un missionnaire et de trois traitants, et qu'il avait lui-même, en 1703, fait condamner à mort un Français qui avait tué deux Pascagoula, Bienville renvoya les trois frères à leur prison, en leur conseillant de méditer sur l'impartialité que suppose une bonne justice.
Au petit matin, Serpent-Piqué annonça qu'il irait lui-même chercher les têtes des assassins, mais Bienville, pour affirmer son autorité, désigna son cadet Petit Soleil, qu'il embarqua sur-le-champ avec douze soldats et un officier. Tandis que l'Indien allait accomplir sa macabre mission, la troupe de Bienville se renforça à plusieurs reprises, car les Canadiens et les traitants, qui lisaient les affiches placées aux bons endroits, rejoignaient le camp des Tunica avec armes, bagages et provisions.
Quand Petit-Soleil réapparut avec ses hideux trophées, Bienville fronça le sourcil et entra dans une colère jupitérienne. Il n'avait reconnu que deux des trois têtes présentées pour être celles des assassins recherchés. La troisième, les Natchez en convinrent, était celle d'un innocent que Petit Soleil avait fait décapiter parce qu'il était le frère d'un des meurtriers qui s'était échappé. En réalité, le troisième assassin était un chef de guerre nommé Oyelape, en français Terre-Blanche, un des meilleurs guerriers de la tribu, que les Natchez avaient voulu épargner. Ayant remis Petit-Soleil en prison, Bienville libéra, deux jours plus tard, le grand prêtre des Indiens, afin qu'il accomplisse ce que Petit Soleil n'avait osé faire. Tandis que les affaires de la justice, selon Bienville, allaient leur train, Petit Soleil se résolut à dire toute la vérité. Il expliqua que trois chefs de guerre, Terre-Blanche, Alahofléchia et le Barbu, étaient les vrais coupables. Comblés de cadeaux par les Anglais, ils avaient accepté de tuer tous les Français qu'ils rencontreraient. Terre-Blanche était vraiment en fuite, mais les deux autres, qui avaient encore la tête sur les épaules, figuraient parmi les prisonniers détenus dans le camp français !
Les premiers jours de juin, M. de Bienville, considérant que le conflit était terminé, reçut les assurances de fidélité des Natchez et annonça qu'il accepterait à nouveau de fumer le calumet de la paix avec eux quand leur nation aurait donné des preuves tangibles de sa loyauté. Il permit aux chefs de regagner leur village après qu'ils eurent promis de lui apporter la tête de Terre-Blanche, dès qu'ils pourraient s'en saisir, et de fournir, avant la fin du mois de juillet, « deux mille cinq cents pieux de bois d'acacia de treize pieds de long et dix pouces de diamètre », qu'ils auraient à charroyer « tout près du Mississippi, au lieu qui leur serait indiqué pour faire un fort ». Les Natchez s'engagèrent encore « à fournir en outre trois mille écorces d'arbre de cyprès pour couvrir les logements » des Français, qui s'installeraient autour du fort
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